Le garçon que j'avais élevé venait de me poignarder en plein cœur. Mais au lieu de m'effondrer, la louve en moi s'est réveillée, patiente et affamée.
J'ai accepté leur sentence avec un sourire. En guise de cadeau d'adieu, je leur ai offert le Sceptre d'Or, un ancien héritage de ma famille. Ils pensaient recevoir une couronne, sans savoir que je venais de leur tendre la corde pour se pendre.
Chapitre 1
Françoise Monier POV:
Le baiser de Cléophas était doux sur ma tempe, un geste si familier qu'il aurait dû apaiser, mais il ne faisait qu'ajouter une couche supplémentaire à la pièce que je jouais chaque jour. Ses mains se posèrent un instant sur mes épaules, une étreinte rapide, presque possessive. Juste assez de pression pour que je sente son intention, pas assez pour me réconforter vraiment.
"Tu aurais dû y aller, ma chérie," murmura-t-il, sa voix grave caressant mon oreille. "Le Conseil t'attendait. Tu as fait tout le travail. Laisse-moi prendre le crédit pour une fois."
Je me suis légèrement tournée, mon sourire parfaitement dosé. "Les chiffres sont clairs, Cléophas. Peu importe qui les présente. Et Gaspard avait une petite fièvre ce matin. Je ne pouvais pas le laisser seul avec la nounou, pas après ce qu'il a traversé la semaine dernière."
Son pouce a tracé un cercle sur mon bras. "Toujours la mère attentionnée. C'est ce que j'aime chez toi, Françoise. Ta dévotion est sans limite." Il fit une pause. "Alors, tout va bien avec notre petit loup ? Il a son atelier d'art cet après-midi ?"
J'ai hoché la tête, mon regard déviant vers la fenêtre où le soleil se levait sur les jardins impeccables de la Maison Leduc, désormais fusionnée avec le Groupe Verlaine. "Oui. J'ai arrangé avec Mademoiselle Rochon. Elle a une main incroyable avec lui. Il l'adore."
Un soupir de soulagement à peine perceptible escapa des lèvres de Cléophas. "Danitza est une bénédiction. Elle a toujours été si douée avec les enfants. Et si loyale envers nous. Je suis sûr qu'elle en prendra bien soin. Notre Gaspard est un enfant spécial, Françoise. Il appréciera ton sacrifice un jour, tu verras. Il te rendra tout au centuple."
Je l'ai regardé, un sourire étrange se dessinant sur mes lèvres. "Je ne fais que mon devoir de mère, Cléophas. Je ne demande rien en retour."
Il a pressé mes mains, son regard rencontrant le mien, empli d'une affection si intense qu'elle en était presque palpable. "Tu es la chance de ma vie, Françoise. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi."
Je me suis contentée de lui offrir un sourire, un de ceux qui atteignaient mes yeux mais jamais mon cœur.
Notre histoire avait commencé il y a toutes ces années, une fusion de deux mondes, la prestigieuse Maison Leduc et le Groupe Verlaine. J'étais l'héritière, le cerveau derrière le succès, celle qui bâtissait l'empire brique par brique. Cléophas, l'héritier des Verlaine, était le visage public, le charme, la vitrine. Il était le loup charismatique que les gens aimaient suivre, tandis que j'étais le stratège dans l'ombre, la force silencieuse qui faisait tourner les rouages.
J'avais toujours été la femme forte de l'équation, celle qui assumait les responsabilités, qui prenait les décisions difficiles. Je me demandais parfois pourquoi j'avais choisi cette vie avec lui. Était-ce par amour ? Par devoir ? Par cette étrange fascination pour son aura, si différente de ma propre nature réservée ?
Avait-il jamais vraiment aimé Françoise Monier, la femme, ou seulement l'héritière, le talent, la machine à succès ?
Pourtant, il y avait eu des moments... des moments où sa tendresse avait semblé si réelle. Les fois où j'étais tombée malade, épuisée par le travail acharné, il était là, veillant sur moi, me servant du thé, me lisant à voix basse. Il m'avait surprise avec des voyages spontanés, des bijoux rares, des compliments susurrés à l'oreille, me promettant un amour éternel, des serments prononcés dans l'intimité de la chambre, sous la lumière tamisée de la lune.
Un cri joyeux a brusquement brisé le silence de la grande maison. "Maman, Papa, regardez !"
Mon cœur a manqué un battement. Gaspard. Je me suis tournée vers la porte, et mon regard a rencontré une scène qui, pour d'autres, aurait été ordinaire, mais pour moi, elle était une piqûre familière.
Danitza Rochon, ma protégée, souriait, son visage rayonnant d'une lumière que je n'avais jamais vue lorsqu'elle était à mes côtés. Elle tenait Gaspard dans ses bras, le faisant tournoyer, ses rires cristallins remplissant le hall. C'était une image de bonheur, de complicité, d'une intimité que je n'avais pas seulement acceptée, mais encouragée.
Quand Danitza m'a vue, son sourire s'est figé. Un instant de pure panique traversa ses yeux avant qu'elle ne le masque derrière une expression de surprise innocente.
Cléophas s'est éclairci la gorge. "Danitza, quelle agréable surprise ! Je ne savais pas que tu étais là."
"Oh, Monsieur Verlaine," a-t-elle commencé, sa voix un peu trop aiguë. "Gaspard m'a dit qu'il avait peur d'être seul. Je suis juste venue le rassurer un instant. Je sais que Madame Monier avait des choses importantes à régler."
J'ai hoché la tête, songeant au jour où Gaspard était né. Danitza était restée à l'hôpital des heures durant, plus excitée que n'importe quelle amie ou employée. L'infirmière-chef avait même plaisanté : "On dirait que Mademoiselle Rochon a donné naissance elle-même ! Quelle joie !"
Danitza a continué, visiblement mal à l'aise avec mon silence. "Je peux le ramener à son cours, Madame Monier. Ne vous inquiétez pas."
Cléophas a posé une main protectrice sur l'épaule de Danitza. "Oui, Françoise. Laisse Danitza s'occuper de lui. Tu as beaucoup à faire."
Gaspard a couru vers moi, ses petits bras s'enroulant autour de mes jambes. "Maman, tu vas travailler ? Danitza peut rester avec moi ! On va faire de la peinture !"
J'ai posé ma main sur sa tête, mes doigts s'emmêlant dans ses cheveux soyeux que j'avais tant caressés. "Mon amour, tu veux que je parte seule sans toi ?"
Il a levé ses grands yeux bleus, une copie parfaite des yeux de Cléophas. "Oui, maman. Tu es toujours si occupée. Danitza est plus amusante. S'il te plaît ?"
Cléophas a rapidement enlacé Gaspard, comme pour le rattraper. "Gaspard, ce n'est pas gentil de dire ça à Maman."
Danitza a ri, un son cristallin mais faux. "Oh, c'est un enfant. Il ne pense pas à mal. C'est normal qu'il préfère s'amuser."
J'ai souri, un sourire si glacial qu'il aurait pu fendre la pierre. "Bien sûr, mon chéri. Si tu préfères Danitza, alors va avec elle."
Gaspard a sauté de joie, attrapant la main de Danitza. "Allez, Danitza ! On va jouer !"
Ils sont partis, un trio joyeux qui ne se doutait de rien. Cléophas, Danitza et Gaspard. Ma famille.
Je les ai regardés s'éloigner, le sourire toujours figé sur mon visage. Mon loup intérieur, qui avait hurlé de douleur pendant des années, s'était tu. Il était maintenant un prédateur patient, tapi dans l'ombre.
Pourquoi souris-tu ? a demandé ma voix intérieure, celle de la louve blessée. Pourquoi acceptes-tu leur insulte, leur trahison ?
Je souris, ai-je répondu au fond de moi, parce que je sais que le jour du jugement approche. Et je serai là pour les regarder tomber. Je suis la mère qu'ils ont reniée, et mon amour, comme ma vengeance, est éternel.