Il est des pays où l'on ne souffre pas. Des pays où l'intelligence ne surpasse l'imagination. Des pays dans lesquels animaux perspicaces, personnages féeriques, dieux et éléments vivent en harmonie dans une immense cage. Là-bas, la fraternité cohabite avec l'individualisme, la passion avec la destruction, le progrès avec l'excès, l'espoir avec l'échec permanent. On raconte que certains attendent le train éternellement, d'autres construisent leurs propres rails. Certains parviennent jusqu'au bonheur à pied, d'autres ne l'atteignent jamais. C'est ainsi que l'équilibre naît, il crée la justesse par cette injustice, l'acceptation d'un autre plus habile. Les êtres créent, et ne se débattent qu'avec leurs propres lacunes, qu'ils considèrent comme telles lorsqu'elles les retardent. C'est pourquoi les illettrés défient les lois les plus fondées de la nature pour les détruire par la suite. Quant aux penseurs, ils forgent leurs outils pour créer ces fameux trains. Tout n'est que surpassement. Chaque être devenant sa propre construction.
Il est des pays où tout semble plus simple, où la joie peut panser l'endroit où le cœur est meurtri, où la pitié n'est que peu comprise. Ici, les séquelles demeurent infimes. La danse ravive les flammes et le repos n'est que superficiel. Tout est réajusté, remplacé, deviné, réglé avant même que l'on ne puisse se remercier.
Les plus grands envient ce monde. Ils prendront armes et catapultes, trahiront leurs frères pour apporter ce bonheur. Construire cette maison, en omettant les premières pierres, l'améliorer, en vanter le mérite puis la détruire.
C'est ici que la figure du caméléon prend vie, dans un monde pseudo-parfait où l'amour des naïfs rancuniers vaut mieux que celui d'un corps éreinté. Elle prend vie dans nos têtes, là où tout semble possible, là où la seule limite qui s'impose est notre imagination ou notre propre égoïsme.
Je me devais de convenablement mener une vie. Les petits grains soupiraient sous mes pieds comme s'ils avaient pu savoir l'issue de ce chemin. Peut-être le savaient-ils ? En effet, tous avaient pu vivre ici comme ailleurs, se laissant transporter au gré du vent. Nous l'avions tous fait. Leur souffle, exténué, se faisait sentir, alors je pris soin de couvrir ma main de certains d'entre eux. Si la chaleur humaine avait ce don de réconfort, parfois, il fallait se laisser séduire par quelque chose de plus grand. Le premier pas dans ma vie future ; j'avais retiré le costume, les couleurs qui envisageaient à ma place. Désormais, je n'étais que nue de toute emprise. S'ils savaient, je n'avais jamais vu l'imposante gare que dans ma tête. Seulement, même les détails les plus fins ne remplaceraient sans aucun doute jamais l'odeur ou le toucher du bonheur. Un Graal personnel, mais pourtant commun. Ici, chaque homme labourait ses rêves, si bien qu'aucun n'y parviendrait. La terre mise en amas par le râteau imaginaire suppliait de l'attention. Étant digne de reconnaissance, elle mesurait son importance mieux que quiconque. Alors je repris une poignée du sable épuisé et y approchai ma bouche. M'auriez-vous prise pour dérangée ? Voici le monde parfait, qui laissait les enfants éveillés, perplexes de ne connaître que la joie. Comme si leurs entrailles criaient, elles aussi, à la supercherie de ce spectacle. Croyez-vous, le monde est bien coordonné, nous laissant le choix d'une liberté conditionnée. Si je voulais choisir le bleu plutôt que le noir, l'on m'aurait dit que celui-ci n'apportait que naïveté, mais si le noir avait été mon envie, il aurait été bien trop sombre. Quelqu'un finissait par choisir le jaune et par dépit, tous collaient à son courage. Se réclamant de nature humaine, ils voyaient en l'autre ce qu'ils ne pouvaient eux-mêmes entreprendre. Mon voisin, plus remarquable par tant d'aspects, se jouait du rôle qu'il représentait. Cruauté mêlait désir de ce qu'on ne pouvait oser. Désir de voir en l'autre un Moi rêvé. Mais les hommes n'étaient pas les seuls à vivre, chaque perspective parlait, chaque construction livrait des secrets. Les murs écoutaient les passants, les éléments régnaient en maître. Le vent nous caressait, l'eau nous soulageait et le feu ravivait nos vies endormies. Et lorsque les montagnes s'élevaient, nous ne pouvions plus les surpasser seuls. De ma bouche entrouverte, je soufflais, voulant revigorer les étroites pensées de ces bouts de rien. Les minuscules cailloux dorés suivaient la courbure de ma lèvre supérieure, tant ils ne voulaient se détacher de mon attention et du confort que celle-ci leur apportait. Non loin de les abandonner, je fis fonctionner mes membres inférieurs afin de reprendre une marche qui s'avérait lente et qui déterminerait la suite de mes choix, de mes obstacles, du monde entier, réel ou non, de ma condition et de mes envies (entrant dans le monde que j'avais choisi, créant mes propres décors de spectacle), car nos propres convictions nous menaient