Prologue
L'aigle, ce grand oiseau libre, aux yeux perçants, au bec d'or et aux ailes impériales. Il règne du haut de son trône, sur l'arête de la crête, là où le ciel et la montagne se rejoignent.
Ce roi majestueux lève l'horizon et, à l'aide de ses puissantes serres, tire chaque matin, aux premières heures de l'aube, le Soleil dans le ciel.
Une fois sa tâche accomplie, il veille sur son empire. Survolant le paysage pur du Yukon, il scrute la blancheur du sol et y voit toute la noirceur qu'elle renferme. Il contemple cette étendue de nacre, fier de ce camouflage si réussi, de ce piège si joli. Il jubile en pensant qu'elle est toute à lui.
À l'affût, il la protège de ces lumières trop brillantes, aveuglantes qui pourraient lui voler son obscurité ou bien la transformer en clarté et la lui dérober.
Un matin, il en vit une. La minuscule silhouette, ce point chatoyant que personne d'autre que le roi du monde ne pouvait voir, avançait en zigzaguant entre les sapins blancs.
Le roi, curieux, s'envola en poussant un cri qui résonna à travers la vallée. Il darda ses yeux étincelants sur l'ombre qui menaçait sa propriété.
Emmitouflé dans trois couches de laine, la tête enfoncée sous un bonnet, les doigts cachés sous d'épaisses moufles et les orteils coincés dans de grandes chaussettes désormais trempées sous ses boots aux semelles amincies, un jeune homme bravait les températures glaciales de l'hiver. Ses joues rosies par le vent froid, les perles glacées gouttant de son nez rouge et ses lèvres bleuies témoignaient de son calvaire
Cela faisait plusieurs heures qu'il avançait dans le paysage montagnard. Il était parti très tôt, un matin quelques jours avant Noël pour trouver un cadeau à sa petite sœur. La fillette était la prunelle de ses yeux, il voulait lui offrir quelque chose de grandiose. Il ne savait pas encore quoi mais lorsqu'il le verrait, cet objet extraordinaire, il le reconnaîtrait. Il ne s'arrêterait pas avant de l'avoir trouvé.
Alors qu'il atteignait la crête, le garçon se laissa tomber dans la neige. La faim avait épuisé son énergie. Il sortit de sa poche un sandwich qu'il croqua avidement. C'est alors qu'un puissant cri retentit. Haut dans le ciel, un oiseau géant planait entre les sommets enneigés. Ébahi, le jeune homme observa la lente et majestueuse descente de l'aigle, les yeux illuminés par la magie de l'instant. La beauté de l'animal était impériale. On aurait dit que ses grandes ailes s'étendaient sur toute la toile du ciel. Elles firent même éclipse au Soleil.
Émerveillé par ce spectacle, le garçon oublia son ventre vide. Il ne pouvait cesser d'admirer l'aigle qui plongeait vers lui. Le fier oiseau descendit les hauts étages qu'il côtoyait habituellement, seul et sage, pour se retrouver enfin à celui de l'humain.
Trop absorbé par ce miracle, il ne prit conscience de la présence de l'oiseau posté devant lui que lorsque celui-ci le plongea dans l'ombre. L'aura majestueuse que possédait l'aigle était hypnotisante. Les yeux du garçon étaient prisonniers de ceux du phénix des montagnes. Le rapace rusé profita de la stupéfaction du jeune homme pour s'approprier son repas.
Il s'envola aussitôt, regagnant les hauteurs royales en possession de son trésor.