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L'étoile tombée d'un arbre

L'étoile tombée d'un arbre

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Résumé

Table des matières

Une vie étriquée à tenter de se conformer, un décès, une absence de dix-huit ans, c'est bien assez pour que Jenny ressente tout le poids de la voûte céleste sur ses épaules et une culpabilité à s'arracher le cœur. Deux choix s'offrent à elle : pleurer sur son sort ou réagir. Elle décide de traquer la vérité sur la mort de son frère, Olivier, sur sa famille et sur elle-même, quitte à perdre ses certitudes sur le monde qui l'entoure et à s'y brûler les ailes… À PROPOS DE L'AUTEURE Inspirée par son incompréhension des maux de la société, Priscilla Mignard écrit L'étoile tombée d'un arbre en restituant au mieux les émotions, si complexes, de l'âme humaine.

Chapitre 1 No.1

Chapitre 1

En cette année deux mille dix-sept, il avait fait particulièrement chaud. Début mars, la tempête Zeus avait balayé la Bretagne et une importante partie du territoire français. Malgré des vents puissants et des rafales allant jusqu’à cent quatre-vingt-dix kilomètres par heure, malgré les très nombreuses chutes d’arbres causant au moins deux décès et plusieurs dizaines de blessés rien qu’en France, malgré la récurrence de ces phénomènes météorologiques, certains demeuraient persuadés que le réchauffement planétaire était un mythe.

Le comble de cette inconscience était que depuis l’année deux mille deux, tout un chacun, moyennant cent cinquante à trois cent cinquante euros, pouvait s’offrir le luxe de choisir le nom d’une dépression ou d’une tempête, comme l’émergence d’un nouveau jeu, pour se moquer des éléments et les ramener à de simples marchandises. Le changement climatique était ainsi une banale réalité à laquelle peu de réactions réellement efficaces avaient répondu.

Le temps était pourtant frais en cette soirée du début du mois d’août. Dans une petite commune du nord de la Mayenne, Jenny Valerens terminait son esquisse dans la salle du cours de peinture de l’association culturelle locale. Elle avait représenté un arbre verdoyant, planté seul au milieu d’une feuille surdimensionnée. Le dessin aux traits naïfs donnait à l’arbre en question un air pathétique renforcé par le vide qui l’entourait et la simplicité du sujet abordé. Le professeur de dessin qui passait derrière elle se sentit obligé de lui dire que ce n’était pas si mal pour une débutante, ne souhaitant pas décourager les vocations. La jeune femme fit semblant de le croire. Après les cours de cuisine qui lui avaient fait regretter les plats surgelés, les séances de course à pied dont les brûlures subséquentes lui firent connaître des muscles dont elle ignorait l’existence, elle s’était entichée de peinture. Parce que dans cette société moderne, il était d’une absolue nécessité de pratiquer, de sortir, de s’éduquer à grand train et à grands frais. Toute femme accomplie se devait d’avoir des loisirs dont elle pourrait parler et être fière. Rester chez soi avec ses enfants et cultiver sa vie intérieure semblaient des pratiques d’un ancien temps que rien ne valorisait.

Il était l’heure de rentrer, elle était déjà restée trop longtemps sur cet arbre qui finalement ne ressemblait pas à grand-chose. Elle fit le tour des autres projets restés sur leur chevalet : plus nets, plus aboutis. Les arbres des autres élèves se fondaient dans un environnement chatoyant et rassurant. Ils trônaient forts et beaux, sans approximations. Mettant son manteau pour partir, elle regarda machinalement dans son sac à main : son téléphone indiquait la réception d’un message. Sûrement Pierre qui lui demandait de vite revenir car il n’arrivait pas à coucher la petite… C’était en fait son frère Martin qui lui écrivait. Il lui semblait pourtant qu’il prenait ses distances depuis quelque temps. Les années semblaient éloigner même les gens qui avaient été les plus proches. Même ceux qui avaient partagé la force d’une enfance, si on n’y prêtait pas garde. Jenny avait parfois l’impression qu’il lui en voulait d’avoir un peu réussi. Elle n’avait pourtant pas le sentiment de se comporter différemment avec lui. Elle avait peut-être trop d’imagination.

Dans tous les cas, Martin lui avait envoyé un message. Elle ouvrit l’application texto où elle put lire : « Jenny, je t’annonce que notre grand frère, Olivier, est décédé. » Ni plus ni moins. Le vide se fit dans sa tête et autour d’elle. Elle n’arrivait pas à croire à cette annonce, ni dans sa forme ni sur le fond. Elle avait dû mal lire. Une seule lettre changée et elle aurait dû lire : « Notre grand frère Olivier est décidé ». Elle pousserait alors un soupir de soulagement. Oubliée la mauvaise nouvelle, bienvenue à Olivier qui aurait enfin décidé de quitter son exil pour revenir vers sa famille. Elle reverrait son frère aîné. Celui qui les faisait tant rire quand il les suspendait par les pieds au-dessus de la cage d’escalier. Celui qu’elle n’avait pas pu serrer dans ses bras depuis presque dix-huit ans maintenant. Elle ne s’était pas rendu compte que pendant sa réflexion la pièce s’était vidée. Elle avait l’air d’être tellement transparente qu’il était étonnant que personne n’ait encore éteint les lumières ni verrouillé les portes de la salle. En fait elle n’avait même pas sourcillé en lisant ce message, trop habituée à garder des secrets. Ce message… Ses forces l’abandonnèrent, tant elle avait peur de se décomposer si elle le relisait. Elle devait pourtant être sûre. Elle récupéra dans son sac à main le téléphone qu’elle avait laissé tomber quelques secondes auparavant. La cruauté des mots choisis lui sauta à nouveau au visage. Elle avait malheureusement bien compris. Si le temps semblait s’être arrêté depuis que son téléphone avait émis sa funeste sonate, il fallait cependant que Jenny se remette en mouvement.

Elle fut tirée de sa torpeur par le professeur de dessin qui lui rappela que le cours était terminé. Cet homme lui avait paru si sympathique lors des cours d’initiation, à tel point qu’elle avait choisi cette activité pour cette seule raison, au détriment du théâtre ou du shiatsu. À cet instant ce même homme lui faisait l’effet d’un ectoplasme. Christophe, puisque tel était son prénom, avait trouvé refuge dans ce petit coin de France après dix ans d’échecs à vouloir conquérir le monde. Son art ne se vendant pas, il décida de l’apprendre aux autres. Ses rêves de gloire oubliés, il se contentait de cette vie à salaire fixe, sans fioritures, sans galas, mais confortable. Il n’avait pas rencontré de futur Picasso ou Vermeer à cette occasion, mais il prenait plaisir à enseigner. En somme c’était une autre manière de vivre de sa passion.

Sans être beau, il avait un visage chaleureux et une certaine bonhomie se dégageait de lui. L’ensemble le rendait agréable à regarder. C’était l’ami de tous, mais peu savaient qu’il souffrait de ne pas être reconnu par ses pairs et que son aptitude à affronter la vie avec réalisme cachait en fait un profond sentiment de gâchis. Les deux êtres en perdition présents ce soir-là, dans la salle de l’école maternelle qui servait d’atelier de peinture, auraient pu se trouver et se comprendre dans leur malheur analogue, mais chacun resta isolément, inconscient du chagrin ressenti par son voisin. Quand il est affecté, l’être humain a une tendance contre nature à croire qu’il est seul dans sa douleur et que nul ne peut le comprendre. Or, par un phénomène que les sciences auraient bien des difficultés à expliquer s’il en relevait, les peines quand elles sont mises en commun ne s’additionnent pas mais s’allègent.

Interpellée, Jenny finit donc par sortir. Elle vit son visage dans le miroir qui précédait la porte d’entrée, devenue la sortie pour elle. Celui devant lequel les élèves se recoiffaient parfois après s’être arraché les cheveux devant leurs toiles. Celui qu’elle n’avait jamais remarqué et vers lequel ce soir, involontairement, elle tourna le regard pour tomber nez à nez avec elle-même. Elle n’y vit pas la jolie jeune femme qu’elle était devenue. De longs cheveux blond foncé tombaient en cascade sur ses épaules, encadrant son visage de jolies boucles. Elle remarqua à peine que ses yeux verts, si vifs habituellement, avaient perdu de leur intensité ordinaire. Ce qu’elle vit surtout c’est à quel point elle semblait avoir gardé toute sa contenance. Elle se demanda si elle n’était pas monstrueuse pour rester physiquement si impassible. D’où pouvait lui venir ce don pour ne rien laisser paraître ? Était-ce simplement que la disparition d’un frère absent depuis dix-huit ans ne l’émouvait pas tant que cela au fond ? Elle était en proie au désarroi le plus total et cela ne se voyait pas. Le plus déroutant était qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’elle devait ressentir. Elle était aussi incapable de dire ce qu’elle ressentait vraiment. Alors elle se concentra sur le sentiment le plus évident, le plus accessible : la colère. Martin n’avait pas le droit de le lui dire de cette façon. Un message téléphonique c’était tellement impersonnel, si froid. C’était totalement inapproprié pour annoncer la pire des nouvelles. On pouvait se permettre d’en envoyer pour souhaiter la bonne année, pour demander des nouvelles, pour de multiples choses, pas pour annoncer la mort. Elle, elle n’aurait pas procédé ainsi.

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