Il l'a choisie publiquement, elle, plutôt que moi, essuyant ses larmes avec une tendresse qu'il ne m'avait jamais montrée. Il l'a protégée, l'a défendue, et quand j'ai été piégée par un prédateur, il m'a abandonnée pour se précipiter à ses côtés. La trahison ultime est venue quand il m'a fait jeter en prison et passer à tabac, en sifflant que je devais « apprendre ma leçon ».
Le coup de grâce est survenu lors d'un accident de voiture. Sans une seconde d'hésitation, il s'est jeté devant Camille, la protégeant de son corps et me laissant seule face à l'impact. Je n'étais pas son amour ; j'étais un poids mort qu'il était prêt à sacrifier.
Brisée sur un lit d'hôpital, j'ai enfin compris. Je n'étais pas son magnifique désastre ; j'étais sa dupe. Alors j'ai fait la seule chose que je pouvais faire. J'ai réduit son monde parfait en cendres, accepté la demande en mariage d'un milliardaire bienveillant qui me promettait la paix, et je suis partie pour commencer une nouvelle vie, laissant derrière moi les cendres de notre amour.
Chapitre 1
Alix de la Roche était un paradoxe.
Pour le public, elle était l'électron libre de la dynastie politique des de la Roche, une journaliste d'investigation dont la signature était une source d'angoisse constante pour son père, le sénateur Charles-Édouard de la Roche. Elle était brillante, rebelle, et un danger public.
Dans l'ombre, dans le silence stérile d'un penthouse avec vue sur tout Paris, elle était quelqu'un de complètement différent. Ici, elle était un secret, une passion, une tempête contenue entre les quatre murs du monde d'Adrien Solis.
Adrien Solis, PDG de la monolithique entreprise de cybersécurité, Solis Systèmes, était un homme taillé dans la glace et la logique. Son pouvoir était maîtrisé, ses émotions un coffre-fort verrouillé. Il incarnait tout ce que sa famille représentait, et pourtant, il n'appartenait qu'à lui-même.
Leur liaison était une chose torride, désespérée, le choc de deux mondes qui n'auraient jamais dû se rencontrer. C'était sa seule échappatoire.
Et elle était sur le point de se terminer.
Alix était allongée dans son lit, la lumière du petit matin filtrant à travers les baies vitrées. Elle prévoyait de détruire un homme dont son père avait besoin, un syndicaliste corrompu dont la chute ferait dérailler le dernier projet de loi du Sénateur. C'était un bon article. C'était aussi une déclaration de guerre contre sa propre famille.
Elle le regarda s'habiller. Le coton doux de sa chemise de nuit fut remplacé par le tissu impeccable et amidonné de sa tenue de travail. La transformation était toujours rapide, l'amant disparaissant, le PDG se matérialisant à sa place.
« Reste », dit-elle, le mot un doux plaidoyer dans la pièce silencieuse.
Il ne se retourna pas. Il ajusta simplement sa cravate dans le reflet de la fenêtre sombre.
« J'ai une réunion du conseil à sept heures. »
« Annule-la. »
Il se tourna enfin, son visage indéchiffrable. « Tu sais que je ne peux pas faire ça. »
Sa froideur était une gifle, une gifle que je connaissais trop bien. Elle le regarda prendre sa mallette, ses mouvements précis et économiques. Pas de baiser d'adieu, pas de contact prolongé. Il n'y en avait jamais.
« Adrien », tenta-t-elle de nouveau, un nœud de désespoir se serrant dans son estomac.
« On parlera plus tard », dit-il, puis il disparut. La porte se referma dans un clic, la laissant seule dans l'immense espace vide. Plus tard. Ses promesses de « plus tard » étaient des fantômes qui ne se matérialisaient jamais.
La froideur de la pièce s'infiltra jusqu'à ses os. Elle n'attendit pas. Elle attrapa son propre téléphone et composa le numéro du chef de cabinet de son père, sa voix dure et claire.
« Dis à mon père que j'accepte. »
Il y eut un moment de silence choqué à l'autre bout du fil. « Vous... vous acceptez la proposition Chevalier ? »
« Oui », dit Alix, les yeux vides. « L'alliance par mariage avec Maxime Chevalier. Je le ferai. »
L'offre était sur la table depuis des semaines, une manœuvre politique conçue par le sénateur de la Roche pour s'assurer un don de campagne massif de la part de ce milliardaire reclus de la tech. C'était une vente, et elle était le produit.
« Il y a une condition », ajouta-t-elle, sa voix tombant à un ton bas et dangereux.
« N'importe quoi, Alix. Le Sénateur sera ravi. »
« Je veux que ce soit annoncé aujourd'hui. Ce matin. Je veux que le communiqué de presse parte dans l'heure qui vient. »
« Bien sûr », balbutia l'homme, fou de joie. « Considérez que c'est fait. »
Elle raccrocha, le caractère définitif de sa décision s'abattant sur elle comme un linceul. Elle venait d'échanger une cage contre une autre.
Alors qu'elle rassemblait ses affaires, son regard tomba sur un second téléphone posé sur la table de chevet. L'appareil personnel d'Adrien. Il ne le laissait jamais derrière lui. Une terreur glaciale l'envahit. Elle le prit. L'écran s'illumina avec un nouveau message.
Il venait de Camille Dubois.
Le message était simple, d'une douceur trompeuse. « Ça va, Adrien ? J'ai appris qu'elle était avec toi. Elle ne t'a pas causé de problèmes ? »
Camille. La fragile fille aux yeux de biche du chef de cabinet de son père. La femme envers qui Adrien avait une dette impayable. Des années auparavant, Camille avait porté le chapeau pour un scandale d'espionnage industriel qui aurait détruit la carrière d'Adrien avant même qu'elle ne commence. Il lui était redevable depuis, un fait que Camille exploitait avec une précision chirurgicale.
L'esprit d'Alix revint un mois en arrière, quand elle s'était fait malmener par les gardes du corps d'une source en poursuivant une piste. Elle était arrivée à la porte d'Adrien, meurtrie et secouée. Il l'avait regardée, son visage un masque de logique froide, et lui avait dit d'être plus prudente la prochaine fois. Il ne lui avait jamais demandé si elle avait mal.
Mais pour Camille, il y avait toujours de l'inquiétude. Toujours une caresse douce.
Un goût amer lui remplit la bouche. Elle enfila ses vêtements, un plan téméraire se formant dans son esprit. Il était censé être à son bureau pour une réunion du conseil. Elle irait là-bas, le confronterait, verrait la vérité par elle-même.
Elle héla un taxi, son cœur battant un rythme frénétique contre ses côtes. Mais alors que le taxi approchait du gratte-ciel de Solis Systèmes, elle le vit. Il n'était pas en réunion. Il entrait dans un petit café de l'autre côté de la rue.
Et il n'était pas seul.
Camille Dubois était avec lui, s'accrochant à son bras. Alix paya le chauffeur et sortit de la voiture, se cachant derrière une camionnette garée. À travers la vitre du café, elle les observa.
Camille pleurait, son visage délicat une image de détresse. Adrien se pencha, son expression inhabituellement douce. Il dit quelque chose qu'Alix ne put entendre. Puis, il tendit la main et essuya tendrement une larme sur la joue de Camille avec son pouce.
Le geste était si tendre, si intime, qu'il lui fit l'effet d'un coup physique. Il ne l'avait jamais touchée avec un tel soin. Pas une seule fois.
Le monde autour d'Alix sembla s'estomper dans un grondement sourd. Les fondations de sa vie secrète, la seule chose qu'elle croyait réelle, s'effondrèrent en poussière.
Son père l'avait vendue. C'était une trahison née de l'ambition, quelque chose qu'elle pouvait comprendre, même si elle ne pouvait pas le pardonner. Il l'avait livrée à Adrien il y a deux ans, une fille sauvage à « dompter » par un homme qu'il respectait. « Apprends-lui la discipline », avait dit le Sénateur, comme si elle était un animal de compagnie indiscipliné.
Au début, elle l'avait combattu de toutes ses forces. Elle avait piraté ses serveurs, accidenté sa voiture et rempli son bureau d'une centaine de chats noirs, un hommage à sa nature prédatrice et élégante. Elle avait tout fait pour briser son contrôle glacial. Il avait tout géré avec un calme exaspérant, nettoyant ses dégâts sans un mot de reproche.
Le point de rupture était arrivé le jour de son anniversaire. Elle avait drogué son vin, un acte de rébellion mesquin destiné à l'humilier. Mais la drogue avait eu un effet inattendu. Elle ne l'avait pas assommé ; elle avait dépouillé ses couches de contrôle, le laissant brut et vulnérable. Cette nuit-là, dans un brouillard de confusion et de désir, il l'avait serrée contre lui, sa voix rauque d'une émotion qu'elle n'avait jamais entendue auparavant. Il l'avait appelée son « magnifique désastre ».
Et dans ce moment de faiblesse, elle était tombée amoureuse de lui. Complètement.
Leur monde secret était né. Un monde de nuits volées et de secrets chuchotés, un endroit où le puissant PDG et la journaliste rebelle pouvaient exister sans jugement. Elle pensait qu'il la voyait, qu'il voyait vraiment le feu sous la rébellion. Elle pensait qu'il l'aimait pour ça.
Elle avait prévu de lui dire qu'elle l'aimait le mois dernier, lors d'une cérémonie de remise de prix où il était honoré. Elle avait acheté une nouvelle robe, répété les mots dans sa tête mille fois.
Il n'est jamais venu.
Le lendemain, les tabloïds étaient remplis de photos de lui et de Camille, dînant dans un restaurant exclusif. Le titre disait : « Le magnat de la tech Adrien Solis et la philanthrope Camille Dubois : une flamme ravivée ? »
Alix s'était saoulée. Elle était allée à son penthouse et avait brisé un vase d'une valeur inestimable, les éclats de cristal jonchant le sol comme ses espoirs brisés.
Quand il était enfin arrivé, il ne l'avait pas regardée. Il avait regardé le désordre sur le sol.
« Je demanderai à l'équipe de nettoyage de s'en occuper », fut tout ce qu'il dit.
Ce fut le moment où l'amour commença à mourir. Le voir avec Camille maintenant, essuyant ses larmes avec une tendresse qu'il ne lui avait jamais montrée, fut le coup final et fatal. Il ne s'agissait pas seulement de la dette qu'il avait envers Camille. C'était un choix. Et il ne l'avait jamais, pas une seule fois, choisie.
Une résolution froide et dure s'installa dans son cœur. Elle n'était plus seulement un pion dans le jeu de son père. Elle avait aussi été la dupe d'Adrien.
Elle se détourna de la fenêtre et retourna à l'hôtel particulier de la famille de la Roche, ses pas fermes et déterminés.
Elle trouva son père, le sénateur Charles-Édouard de la Roche, dans son bureau, sa belle-mère et la mère de Camille, Évelyne, rodant à proximité.
« L'annonce a été faite », dit Charles-Édouard, un rare sourire ornant ses lèvres. « L'alliance Chevalier est un coup de génie, Alix. »
« J'ai une autre condition », dit-elle, sa voix dénuée d'émotion.
Son sourire vacilla. « Laquelle ? »
« Je veux être reniée. Publiquement. Je veux que le nom de la Roche me soit retiré. J'irai à Genève en tant qu'Alix de la Roche, pas une de la Roche. Je ne veux rien de cette famille. »
Le Sénateur la dévisagea, son visage un masque d'incrédulité et de fureur. Évelyne, cependant, avait une lueur de triomphe dans les yeux.
« Tu es ridicule », gronda Charles-Édouard.
« Vraiment ? » Les lèvres d'Alix se tordirent en un sourire amer. « Ou suis-je simplement en train de te rappeler le prix de ton ambition ? Tu te souviens du fonds de pension syndical que tu as "mal géré" il y a dix ans ? Celui qui a disparu juste avant ta première grande campagne ? Moi, oui. J'ai les dossiers. Répudie-moi, ou le monde entier saura quel genre d'homme tu es. »
Son visage devint pâle, puis s'empourpra de rage. Il se leva, la main levée comme pour la frapper.
« Dehors », siffla-t-il, sa voix tremblante. « Tu n'es plus ma fille. »
« Bien », dit-elle en se tournant pour partir. En atteignant la porte, elle s'arrêta. « Et une dernière chose, Charles-Édouard. L'entreprise de Maxime Chevalier est spécialisée dans la sécurité des données. La plus avancée au monde. Si j'étais toi, je ferais très attention à l'endroit où mes secrets sont gardés à partir de maintenant. »
Elle sortit sans un regard en arrière. Une fois dans son ancienne chambre, la porte bien verrouillée, elle s'autorisa enfin à s'effondrer. Des sanglots secouaient son corps, des larmes de deuil pour un père qui ne l'avait jamais aimée et un homme qui lui avait systématiquement brisé le cœur. Elle avait sacrifié son nom, sa famille, son identité entière, juste pour échapper à Adrien Solis.
Plus tard dans la soirée, alors qu'elle emballait ses dernières affaires, elle entendit des voix dans le couloir. La voix de son père, chaude et paternelle, suivie des tons doux et sucrés de Camille Dubois.
« Ne t'inquiète pas, ma chère. Ici, tu seras toujours chez toi. »
Alix se figea. Elle ouvrit sa porte d'une fente et regarda. Son père conduisait Camille dans la chambre juste en face de la sienne. La chambre qui avait appartenu à la mère d'Alix, intacte depuis sa mort.
Il donnait la chambre de sa mère à Camille.
Un calme froid et engourdissant envahit Alix. Elle referma sa porte silencieusement. Il ne restait plus rien pour elle ici. Absolument rien.