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La brèche

La brèche

5.0
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Résumé

Table des matières

Ils pensaient participer à un jeu de rôle ordinaire. Au cours d'une partie extraodinaire, c'est leurs vies qu'ils vont mettre en jeu.

Chapitre 1 Prélude

A : Azilissentenac@albator.fr,MGriffin@gmail.com,Benedictdiop@yahoo.fr,Malov@albator.fr,Amanin@gmail.com .

Objet : Consignes pour le JDR de samedi.

Bonjour tous,

pour ne pas perdre de temps avant de commencer à jouer, je vous envoie la description du contexte de vos personnages.

Ils vivent dans le petit village de Saint-Véran en Queyras. Ils vont tous à la même école dans une classe unique.

C’est un tout petit village de montagne mais qui est le plus haut perché d’Europe. Il y a beaucoup de chalets en bois très pittoresques mais aussi quelques hôtels et logements sociaux, un temple protestant et une belle église romane. On trouve aussi une multitude de fontaines et des cadrans solaires qui apportent un charme particulier au décor.

En hiver, il y a énormément de neige. Cette année, la neige est arrivée assez tôt et ils sont plutôt contents car les cours de ski vont pouvoir reprendre à la place de la gym. Ils ont la chance d’être aux pieds des pistes.

Donc avant lundi si vous voulez bien m’envoyer une petite fiche de vos personnages avec leurs noms, leurs prénoms, leurs âges (entre 7 et 11 ans), une description physique (non, les moustaches et les barbes ne sont pas acceptés), une description morale et pour finir une petite bafouille sur comment se passe leur vie chez eux.

Ceux qui n’auront pas fait leurs devoirs verront leurs personnages tués instantanément.

Je vous dis à très bientôt et je vous embrasse à part ceux qui piquent.

Yann.

**

A : Yanncarrion@free.fr

Objet :Mon personnage

Nom : Siméon

Tuas quel âge ? : 9 ans

Es-tu un garçon ou une fille ? : un garçon

Description physique : Je suis maigrichon et pas très grand. J’ai les cheveux roux et les yeux marrons.

Description morale : Je suis quelqu’un d’assez timide qu’on entend assez peu. Je suis quelqu’un d’assez curieux et j’aime beaucoup lire.

A la maison : Je vis avec ma mère et mes trois sœurs et ce n’est pas facile.

**

Depuis toujours, Angèle aimait le frottement étouffé de ses pas sous l'épaisse moquette du musée, le chuintement élégant des chaussures frôlant le synthétique. Elle souriait derrière le faisceau de sa torche électrique : dans quelques heures, elle serait en week-end.

La semaine n'avait pas été facile. Deux de ses collègues étaient tombés malades presque en même temps et elle avait vu ses permanences augmenter en conséquence. Comme à son habitude, elle n'avait rien dit. Elle espérait cependant qu'ils en tiendraient compte pour l'emploi du temps de la semaine prochaine.

Elle passa rapidement la salle sur la citoyenneté romaine, s'assurant cependant que les tables claudiennes étaient toujours en place. La crise acculait parfois les gens à faire n'importe quoi comme s'endetter jusqu'au cou, alors pourquoi pas à essayer de soulever des plaques massives en bronze. Elle resta quelques instants à admirer l'ouvrage. Par ce texte, l'empereur Claude accordait la citoyenneté aux gaulois. Un acte honorable quoi qu'un peu intéressé : n'était-il pas, selon la légende né à Vienne ? Elle en éprouvait une certaine fierté.

Son talkie walkie émit quelques crachotements et elle le porta à son oreille. Comme d'habitude, la réception était assez mauvaise mais elle parvint à entendre son prénom. Elle répondit. « C'est moi, Angèle. Je t'écoute. » La voix lointaine de son collègue lui apprit qu'il n'y avait rien à signaler. Elle pouvait finir sa tournée et ils lèveraient le camp. Elle approuva avec une certaine reconnaissance. Il était encore tôt. Avec un peu de chance, elle pourrait rentrer assez vite pour se mettre au lit et elle ne serait pas trop décalée pour le reste de la journée.

Comme souvent, elle eut un pincement de cœur au niveau de la thématique :La vie après la mort. Le cartouche d'un petit sarcophage parlait d'un petit garçon aimable, qui apprenait bien ses leçons, qui faisait le bonheur de ses parents mais qui était mort en bas âge.Même de l'autre coté du temps, elle ne pouvait que ressentir la douleur que ses proches avaient gravée dans la pierre. La peine indicible que de perdre celui auquel on avait donné la vie.Heureusement, elle ne la connaîtrait jamais.

Son esprit vagabonda pendant qu'elle terminait son inspection. Elle pensa à sa sœur et aux jumeaux qui n'allaient pas tarder à pointer le bout de leur nez. Elle ne s'habituait pas vraiment à l'idée de devenir tante beaucoup moins bien que sa jumelle qui avait hâte d'être maman. Elle ne lui parlerait jamais du petit sarcophage.

Pour remonter à l'accueil, elle s'octroya le privilège de prendre l'ascenseur. Au bout de quatre heures en station debout, la fatigue se faisait sentir. Elle devrait boire un café avant de reprendre la route. Elle constata avec plaisir que Marc lui avait laissé une cafetière presque pleine. Elle se servit un plein mug et se laissa tomber dans l'épais fauteuil de la salle de repos avec une satisfaction certaine.

Ses pensées partirent dans une direction tout à fait différente jusqu'au mail qu'elle et les autres membres du groupe avaient reçu. Les parties précédentes avaient été plutôt amusantes mais assez effrayantes aussi. Dans l'ensemble, ils se prêtaient facilement au jeu et Yann était un narrateur très efficace. Et puis, ce serait un plaisir de revoir tout le monde. Avec un peu de chance, Bénédict aurait eu le temps d'illustrer leurs aventures ? Elle savait pourtant que quelque chose n'allait pas. Il y avait bien sûr l'état de santé préoccupant leur ami et maître du jeu. Ces derniers temps, il avait beaucoup maigri et souffrait souvent au niveau de l'estomac. A présent, il devait sûrement connaître les résultats des analyses. Elle espéra que ce n'était rien de grave, rien qu'un virus passager.

Elle se versait une deuxième tasse quand son collègue la rejoignit.D'habitude, Marc était volubile et loquace. Aujourd'hui, il ne lui parla presque pas, se contentant de lui lancer quelques regards fuyants. La fatigue sans doute ; elle ne s'en formalisa pas.

Son talkie, sa lampe et son badge rangés dans leur casier, elle enfila son blouson. Le ciel avait la couleur paresseuse des matins gris. Il pleuvrait certainement ce qui était dommage pour un jour de marché. De chez elle, elle verrait le ballet multicolore des capuches et des parapluies. Le vent soufflait, vif et sauvage et la fit frissonner.Elle rejoignit à grands pas sa voiture.

Comme à son habitude, elle replia ses grandes jambes pour ne pas que cogner sa tête au plafond. C'était le désavantage d'être grande. A terme, elle remplacerait son « véhicule pour nain » par une voiture à sa taille. Pour le moment, elle souffrirait en silence avec l'aide de son ostéopathe. Machinalement, elle régla son rétroviseur en essayant de ne pas croiser son reflet qu'elle connaissait trop. Une jeune femme blonde aux yeux bleus gris et aux cheveux harmonieusement ondulés à l'exception d'un innommable épis. On la disait séduisante mais elle ne s'aimait pas.

Elle mit le contact avec une certaine délicatesse pour ne pas brusquer le vieil engin et s'engagea dans les rues de Lyon presque vides. Elle vit les trottoirs détrempés renvoyant la lumière blafarde des lampadaires. La ville avait déjà versé son tribut à la pluie.Elle s'engagea sans attendre sur l'autoroute puis enclencha son cd. La voix du chanteur de Queen résonna dans l'habitacle. Tout comme son personnage, elle aimait Mercury. Il était pour elle une sorte de symbole et il l'accompagna alors que défilait la route. Elle se sentait sereine, maîtresse de la nuit. Elle prit sans encombre la sortie.

Vienne dormait, veillée par le château illuminé. A dire vrai, il était en ruines et devait abriter quelques fantômes. Mais elle était heureuse de croiser chaque fois son profil familier. Elle ralentit pour s'engager en douceur dans les rues étroites. Pas de lumière aux fenêtres. Elle ouvrit tout doucement la porte du garage. Cette fois, il ne lui fallut pas plus de deux manœuvres pour garer la voiture. Avant de sortir, elle prit son portable dont le cadran indiquait cinq heures. Azilis serait sûrement debout. Elle lui passait le relais.

**

A : Yanncarrion@free.fr

Objet : mon personnage

Hello, comme promis je t’envoie la description de mon personnage. Oui, au cas où tu ne l’aurais pas vu c’est bien un garçon même s’il n’a pas de barbe.

Nom : Ulysse

Age :9 ans

Description physique : Cheveux et yeux bruns. J’ai un physique passe partout. Il était une fois dans une galaxie très très lointaine ...

Description morale : Je suis assez sauvage et me confie assez peu en dehors de mon cercle de copains.

A la maison : J’aime beaucoup rester au grand-air. D’ailleurs,je me suis construit une belle cabane dans les arbres dans laquelle j’adore rester. A la maison, j’ai trois grandes sœurs qui me couvent et ce n’est pas toujours facile.

Enfin voilà. Donc vivement samedi !

Bises

***

Le verre crissait en vibrant sous les doigts d'Azilis. Elle ne l'entendait pas. Elle parvint à négocier un arc brisé parfait. Avec sa précision coutumière, elle détacha la surface polie et la porta à la lumière pour l'admirer. La lumière naissante passait à travers le bleu outremer, juste la teinte qu'elle souhaitait. Quelques instants, il lui sembla tenir autre chose qu'un morceau de vitrail : un bout de nuit. Un trésor à part entière. Elle sourit.

La journée précédente, elle avait passé son temps à créer chacun des morceaux. Contrairement aux autres verriers, elle n'utilisait pas le verre brut mais fabriquait elle-même la pâte, mélangeant chacun des pigments puis soufflant chaque élément, le façonnant à sa façon.

Elle commençait à devenir une artiste appréciée et reconnue : dans le monde du vitrail, certes mais tout de même. Un jour, un journaliste – comment avait-il eu son adresse, celui-là ?- avait voulu la filmer pour le 13 heures de TF1. Elle l'avait vu débarquer en costume un beau matin dans son atelier. Elle l'avait écouté avec une certaine attention avant de décliner poliment. Certes, cela lui aurait donné une certaine visibilité mais elle doutait fort que la vie de la plus jeune maître verrier de tout l'Isère soit plus passionnante que le grand bordel du monde extérieur. Déjà, on s'agitait sérieusement en France. Une loi pour permettre à deux personnes du même sexe de se marier faisait scandale. Elle se demandait bien pourquoi. Qu'avait donc le gouvernement à brandir cette liberté qu'un bon nombre homosexuels européens avaient obtenue sans plus d'histoire que ça comme un chiffon rouge pour exciter les taureaux. Quelles autres lois allaient-ils faire passer alors que tout le monde avait les yeux braqués là-dessus. En attendant, les mentalités étriquées montaient aux barricades et on parlait de « Printemps Français ». Cela en devenait franchement effrayant. Dès qu'elle en aurait le moyen, elle ficherait le temps de ce pays pourri. Et elle espérait que tous les autres la suivent. Malo tout du moins. Son frère aussi mais seulement s'il cessait de se prendre pour une mère poule.

Son téléphone vibra dans sa poche lui indiquant la réception d'un texto. Angèle était donc bien rentrée. Elle-même n'aurait jamais pu travailler de nuit, même dans un musée. Surtout dans un musée : tout ces morceaux de passé restés tapis dans l'ombre, c'était quelque peu effrayant. Elle répondit : « Ouf. Alors dors bien pour être en forme ce soir. Bises. »

Elle décida de s'octroyer une pause café. Elle sortit de l'atelier et regagna la maison en passant par le jardin. Elle savoura la sensation délicieuse de l'herbe mouillée sous ses pieds nus. C'était la pluie qui l'avait tirée du lit ce matin et non pas l'un de ses nombreux cauchemars. Pour fêter ça, elle prendrait son petit déjeuner dehors.

Son téléphone vibra une deuxième fois annonçant un deuxième texto. Son frère, sans doute. « Comment est-ce que vous venez ? » Elle soupira. Dès qu'elle répondrait, il voudrait savoir qui conduisait la voiture et lui recommanderait de boucler sa ceinture. Elle n'avait plus seize ans.

Heureusement, le week-end promettait d'être sympathique. Elle aimait aller à Lyon. Restait à voir qui allait prendre le volant pour emmener les autres. Elle verrait avec Malo. En attendant, un petit-déjeuner s'imposait.

**

A : Yanncarrion@free.fr

Objet :Personnage

Hello jeune homme. Je t’envoie donc mon personnage. Si tu as l’impression qu’elle ressemble à ma mage foldingue de la dernière fois c’est normal. J’ai rajouté des petits détails qui risquent de te plaire.

Nom :Bellatrix

Age :10 ans

Description physique : Je suis très grande et très mince. J’ai le teint blafard et des cheveux noirs bouclés très difficiles à coiffer qui sont presque tout le temps dressés sur ma tête.

Description morale : J’adore les films d’horreur et j’adore en parler au grand damne de mes camarades de classe. On me qualifie souvent de bizarre mais je m’en fiche un peu.

A la maison : mon papa est anglais. Il lui arrive parfois de mettre des robes et de parcourir les rues du village. Il lui arrive parfois de boire un peu trop. Ma maman est une ancienne katcheuse à la retraite qui passe son temps libre devant le téléachat. J'ai un grand frère qui est fan de Tokyo Hotel. Moi, je me débrouille un peu toute seule. Je fais très bien à manger, et il m'arrive de me retrouver toute seule à la maison pendant des journées entières. Pratique pour regarder des films d'horreur.

**

Faire le marché le samedi était un de ses passe-temps préféré. Elle aimait la multitude de parfums et de couleurs, la diversité des étals et la foule qui se pressait autour. Souvent, elle s'arrêtait sans but précis et regardait autour d'elle. Elle avait de tout temps été quelqu'un de curieux. Chaque fois qu'elle voyait un fruit ou un légume qu'elle ne connaissait pas – et cela arrivait encore à quarante-cinq ans passé – elle s'empressait de l'acquérir. Il y avait bien sûr eu plusieurs essais infructueux et des grimaces devant les assiettes mais la plupart du temps, elle avait été contente de ses trouvailles. Comme à son habitude, elle s'arrêta devant les plats préparés. Chaque samedi, elle en prenait un différent. Le cuisinier était un homme aussi gentil que créatif et changeait presque chaque semaine. Ses préparations colorées mijotant dans des grandes poêles au grand air donnaient l'eau à la bouche. Pas une seule fois, elle n'avait résisté.

Déambuler ainsi était aussi une rupture efficace avec son quotidien. Elle aimait enseigner, surtout aux tous petits et cette année, elle avait peu d'élèves. Elle avait comme les autres années son lot de terribles, de traînards et de peu attentif. Elle avait surtout « Monsieur Quoi .» L'image du gamin aux boucles blondes s'imposa à son esprit. Un petit monstre bien sympathique qui, chaque fois qu'elle l'interrogeait – et ce sur n'importe quel sujet : de la coupe du monde aux pompiers – lui répondait indéniablement« quoi. » de son inimitable petite voix haut perchée. Elle avait tout tenté pour le faire parler. Elle avait même espéré,en emmenant sa guitare pour la première fois de l'année pouvoir le faire chanter avec les autres. Elle avait vite été détrompée en l'entendant hurler par dessus la muraille sonore et plus ou moins inaudible de ses camarades même si cette fois, ses « quoi » étaient en rythme. Elle avait hésité un peu avant de prendre rendez-vous avec ses parents : parfois, papas et mamans étaient capables de mordre lorsqu'on prenait à défaut leur progéniture. Et effectivement, c'est ce qui s'était produit. Du moins, ils ne l'avaient pas vraiment mordue mais s'étaient montrés sceptiques. Jamais leur petit Arthur n'aurait osé une telle infamie à la maison. Elle n'en avait pas été plus rassurée. C'était donc une guerre des nerfs entre le gamin et elle.

Au milieu de la foule et à la lumière du jour, elle parvint à se dire qu'elle l'aurait à la longue, ce qui n'était pas toujours le cas.Ses amis lui répétaient qu'elle ferait mieux d'en rire. Mais parfois, il fallait bien le dire, elle en cauchemardait.

C'est pour cela qu'elle avait eu beaucoup de réticences quand Yann, qui leur inventait chaque scénario depuis une bonne dizaine d'années maintenant leur avait proposé un « Little fears ». Ce jeu là consistait à interpréter des enfants confrontés à des monstres. Elle passait son temps avec, elle n'allait pas non plus en jouer un ! Mais les autres membres du groupe s'étaient montrés très enthousiastes et elle s'était pliée à la majorité. Dès la conception des personnages, le jeu s'était avéré plaisant. Déjà,plusieurs membres du groupe pour défier le maître du jeu avaient choisi un membre du sexe opposé. Yann avait approuvé à condition que les garçons qui joueraient des filles devraient parler d'une voix suraiguë et que celles jouant des garçons devraient avoir des voix viriles. Pour sa part, elle avait créé Bellatrix.

Elle avait avec la petite fille quelques points communs. Bien sûr, il y avait ses cheveux, ce qui était un détail non négligeable. Ceux de la gamine étaient très noirs et les siens châtains mais ils avaient en commun la tignasse de boucles incoiffables tombant sur ses épaules. Enfant, on la surnommait aimablement « le mouton »mais à son âge on pensait la même chose en la voyant, on ne lui disait plus. Car, et c'était malheureusement le deuxième point commun avec son personnage, on la prenait souvent pour une délinquante, une forte tête tout du moins. Et, quand elle regardait en arrière, elle n'était pas si loin de la vérité. Mais, par dessus tout, elle partageait avec Bellatrix sa passion pour les films d'horreur. Dès petite, elle avait été fascinée par les monstres. Et elle aimait le fait qu'en regardant le film, la délicieuse montée d'angoisse qu'elle éprouvait exorcisait celle, trop réelle du quotidien. Comme la petite fille, elle était une excellente cuisinière . Par contre, son papa bien que ressortissant britannique n'avait jamais porté de robes. Du moins, pas qu'elle sache. Elle l'espérait …

Les bruits de la rue la ramenèrent à son quotidien et elle poursuivit sa route. Elle trouva un étrange fromage de chèvre couvert d'une napure rouge dont elle fit l'acquisition. Satisfaite, et comme elle avait déjà bien rempli son sac à dos, elle se décida à regagner son appartement.

**

A : Yanncarrion@free.fr

Objet :Mon personnage

Nom :Philomène

Age : 8 ans

Sexe :une fille

Description physique : peau noire, cheveux crépus, pas très grande, je suis très mince

Description morale : Je suis un petit génie d’internet. J’aime résoudre des enquêtes.

A la maison : Je suis tout le temps obligée de m’occuper de mon petit frère qui a cinq ans et qui est très pénible. Ça, maman ne veut pas l’entendre parce que c’est son chouchou.

Tu vois, je teste mon personnage de roman. Au fait, est-ce que tu penses qu’on pourrait ne pas terminer trop tard. J’ai peur qu’Azilis soit fatiguée après.

À samedi

Bénédict.

**

Les livres de Benedict Diop envahissaient la bibliothèque. Sa femme avait insisté pour qu'ils les aient tous. Chaque fois qu'un des livres paraissait, elle l'achetait aussitôt pour le placer religieusement sur le rayonnage avec tous les autres. Bien sûr, elle aurait pu les avoir gratuitement chaque fois, mais elle insistait pour accomplir ce geste. Plus tard, elle les ferait lire à leurs deux enfants dès qu'ils en auraient l'âge. Assis à sa table de dessin, il leur décocha un sourire. S'il n'avait pas été l'auteur,il aurait pu en être jaloux.

Il publiait beaucoup à raison de trois livres par ans. Chaque opus narrait les histoires de la petite Philomène. Il était, il les avait un auteur atypique dans le paysage de la littérature pour enfants. Déjà, on le prenait toujours pour une femme assez âgée. Très souvent, il surprenait les gens quand il se déplaçait pour les salons. A la place de l'aïeule tranquille attendue, ils voyaient débarquer un grand bonhomme à la peau noir d'une trentaine d'années. Il s'en amusait énormément, jouant au maximum la carte de l'ambiguïté. Iln'avait pas choisi son prénom et l'aurait changé volontiers en de nombreuses occasions. Mais il était le benjamin d'une fratrie de quatre et ses frères avaient bénéficié de plus d'inspiration de la part de leurs parents.

Il avait du succès. Depuis toujours, ses pastels aux courbes douces et les répliques de la gamine délurée faisaient mouche. Les gamins l'adoraient. Philomène s'exportait en Belgique et même en Angleterre. Mieux encore, il était en négociations avec une société d'animation pour une adaptation cinématographique. Il peinait encore à le réaliser.

Lui-même s'était au fil du temps attaché à son personnage. Cela faisait dix ans qu'il avait griffonné les tous premiers croquis.

Et ce soir, il allait pouvoir l'incarner. Quand Yann avait parlé d'un jeu de rôle où ils devraient incarner des enfants, il avait saisi l'occasion. Il jouait la petite fille qu'il connaissait par cœur. La partie promettait d'être amusante.

Il retourna à son dessin. Il avait représenté Philomène avec toute sa petite bande. Bellatrix, Siméon, Ulysse et Garance. C'était une surprise qui allait plaire à tout le monde. Il aimait beaucoup ses compagnons de jeu. Depuis dix ans, ils se réunissaient tous les mois pour vivre les aventures que Yann leur concoctait. Ils avaient été loups garous, pirates, héroïques guerriers ou créatures immondes.Ils étaient devenus avant tout des amis.

C'était Malo qui le premier avait déniché la petite annonce. Un spécialiste de jeux de rôles qui venait de débarquer de la capitale était à la recherche de joueurs. L'ami d'enfance d'Azilis, par extension le sien féru de Donjon et Dragon avait répondu présent. Naturellement, « petite sœur avait suivi ». Il s'en était inquiété : Malo n'était-il pas en train d'entraîner sa protégée dans une secte prédatrice et sans scrupule ? Il avait téléphoné pour se renseigner. Yann lui avait aimablement proposé de venir jouer avec eux pour voir de quoi il retournait. Il avait été désarçonné par la réponse mais avait tout du moins accepté. Entre temps, Malo avait aussi dépêché Morgan, une de ses collègues qui n'avait pas tardé à venir avec Angèle, son amie.

Au début, chacun s'était senti dans ses petits souliers. Les sourires étaient convenus, de mêmes que les répliques entre les personnages. Azilis s'exprimait peu, gênée par son handicap. Angèle, empêtrée dans sa timidité avait été complètement mutique. Et puis la magie avait opéré dès la première séance …Oui, la magie ; il ne savait pas quelle autre expression adopter car c'est ce qui s'était produit. Yann était un narrateur expert qui n'avait pas son pareil pour inventer des mondes, captivant et emmenant son petit monde à sa suite. Malo lui avait donné la réplique. Il n'avait pas son pareil pour inventer des personnages totalement loufoques et les jouer. Il les avait fait rire jusqu'à en pleurer, courbés en deux sur leurs abdominaux endoloris. Peu à peu,sous le masque de gêne, il avait découvert le charme discret d'Angèle, l'espièglerie et la sensibilité de Morgan. Les autres, il les connaissait bien mais les avait comme redécouverts. A la fin de la séance, ils avaient tous convenu avec un enthousiasme certain de se revoir sans faute le mois prochain. Et ils avaient échangé leurs numéros. La séance d'après, Morgan, Angèle et Yann commençaient à apprendre la langue des signes. Dix années plus tard, ils étaient devenus de parfaits bilingues ; et eux tous des rôlistes de grande envergure.

Il faudrait d'ailleurs qu'il relise sa fiche de personnage pour ne pas oublier les détails. Son personnage d'origine ne possédait pas de boîte. Il avait ajouté ce détail qu'il jugeait utile pour la partie. Yann s'en servirait à coup sûr. Il allait se remettre à son dessin quand deux petits bras enserrèrent sa taille. Il sourit.A cinq ans, Soliman continuait de lui faire des câlins. Il en profitait, conscient que cette période ne durerait pas. Paterne refusait maintenant qu'il l'embrasse en public. Il fit pivoter sa chaise pour faire face au petit garçon.

« Maman veut que tu viennes l'aider pour la cuisine. »

Il se leva, non sans au préalable fait mine de chatouiller son fils qui battit en retraite en éclatant de rire. Il alla retrouver le général en chef qui régnait en maître sur toute la maison. Edwige était expert-comptable et faisait tourner son petit monde à la baguette,mélangeant sans mal douceur et fermeté. Il l'en remerciait énormément pour cela. Papa-poule par excellence, il n'arrivait jamais à élever la voix. Elle l'accueillit avec un grand sourire et lui tendit une cuillère en bois.

« Goûte. »

Il n'avait pas d'autre choix que d'obéir. C'était sucré et délicatement relevé. Sans doute une sauce qui agrémenterait la viande en train de cuire au four et dont le fumet lui donnait déjà faim.

« J'ai prévu des patates pour accompagner le plat. Seulement voilà, elles ne vont pas se préparer toutes seules. »

Il avait compris le message. Si Edwige était la cuisinière, il en était le marmiton attitré. Il alla chercher un économe.

**

A : Yanncarrion@free.fr

Objet :mon personnage

Hello grand,

je t’envoie ma petite fiche de personnage. Je l’aime bien alors ne la tue pas trop vite cette fois. Au fait, on s’est un peu entraidés avec Azie pour choisir nos types de persos. J’espère que tu ne nous en voudras pas.

Nom :Garance

Age :7 ans

Sexe : fille

Description physique : rousse avec des tâches de rousseur, j'ai des yeux marrons, je suis toute fine et pas très grande.

Description morale : on dit que je suis une petite fille très intelligente. D’ailleurs, on dit que je suis surdouée. Ma maman cherche une école spécialement pour les enfants comme moi.

A la maison : J’ai des petits frères jumeaux qui m’admirent et répètent tout ce que je dis.

A samedi

Gros bisous qui piquent.

Malo.

**

DarthVador l'avertit qu'il avait reçu une réponse instantanée avec sa petite musique. C'était plutôt flatteur de sa part vu qu'il devait être très occupé à repousser les jedi dans son étoile noire. Malo était content de sa programmation. Dès que possible, il présenterait sa petite innovation à Azilis. Elle ne pourrait bien sûr pas entendre la musique mais verrait l'animation qu'il avait créée avec, et cela rien que pour elle : le pire méchant de science-fiction de tous les temps, le père de Luke Skywalker, le bourreau de tous les jedis de l'univers en train de danser la macarena. Il lui avait juste suffit de trouver les bons codes : facile pour le geek qu'il était.

Le message avait été envoyé à dix heure trente du matin. Déjà si tard ? Cela voulait dire qu'il venait de passer une nouvelle nuit blanche et qu'il devait se dépêcher de descendre faire ses courses s'il ne voulait pas mourir de faim. Il regarda cependant ce que lui voulait son partenaire de guilde. « Un jeu de rôle ? Vous sacrifiez des vielles dames et des bébés dans des cimetières,c'est ça ? » Il soupira. Les clichés sur les rôlistes avaient la vie dure. Il en avait vu d'autres. Il pianota à toute vitesse : « Oui, c'est exactement ça. Si on a pas assez de gens à sacrifier, je penserai à toi. Tu serais d'accord ? ». La réponse ne se fit pas attendre. « Lol, j'y penserai. Donc c'est ce soir que tu vois Azilis ? Tu vas te décider ? » Il fronça les sourcils ? Pourquoi avait-il parlé de son amie d'enfance à un nerd qui n'y connaissait rien ? Certes, cela faisait plusieurs décennies qu'il vivait, respirait, espérait après la jeune femme. Mais elle le voyait plutôt comme un confident qu'un amant potentiel et c'était quelque peu contrariant.

Il se leva, étira ses longues jambes et se regarda dans la glace. Grand,maigre, dégingandé, les cheveux marrons et coiffés de façon peu académique, les yeux bruns … Certains lui trouvaient une ressemblance avec un certain Doctor Who. Il était tombé au hasard sur un épisode dans lequel des statues en forme d'ange – qu'on appelait apparemment les anges pleureurs - avaient détourné un vaisseau spatial avant de le laisser s'écraser sur leur planète d'origine. Il avait d'abord constaté avec un certain amusement qu'une certaine River song avait des faux airs de Morgan, confirmant ainsi ce que leur disaient certains de leurs collègues. Il avait trouvé l'épisode totalement effrayant : les monstres restaient figés tant qu'on les regardait. Mais dès que l'on se détournait ou même qu'on clignait des yeux, ils s'approchaient doucement et …Il en était encore traumatisé. Jamais il ne regarderait plus les statues de pierre de la même façon. Il s'était promis de visionner l'intégralité de la série mais n'en avait jamais eu le temps : les jeux en ligne étaient absolument chronophages.

En même temps, le jeu était partie intégrante de sa vie. Il ne s'en était jamais caché. Même avec ses élèves, il avait détourné leur contenu dans un but pédagogique. A la place des problèmes de calcul classiques dans lesquels vingt petits oiseaux se perchaient dans un arbre il disait aux petits : « L'ogre mange un elfe avec une pomme, deux gobelins, trois framboises ... ». Visiblement,les élèves appréciaient et les parents n'avaient pas l'air de s'en plaindre. Peut-être pensaient-ils que ces étranges créatures étaient inscrites au programme de l'éducation nationale au même titre que les avantages de la colonisation française (une immense connerie). Dans tous les cas, ses chères têtes blondes avaient progressé et désormais, son ogre mangeait trente elfes quand il avait très faim.

Il se demanda s'il fallait qu'il passe sous la douche. Il leva les bras, huma et fit la grimace. Il n'allait pas couper à un décrassage intégral sinon ses compagnons de jeu ne survivraient pas. Il sentait l'ours, le bison ou pire encore, le poney. Il se déshabilla tout en jetant un coup d'oeil sur sa boîte mail. Il espérait un message d'Azilis et ne fut pas déçu. Elle l'avait envoyé depuis son portable accompagné d'une photo … De ses pieds ! Il fut prit d'un fou rire. Azilis et ses pieds, c'était une longue histoire. Depuis toujours, elle aimait se promener sans chaussures autant qu'elle le pouvait. Cette lubie lui venait de l'enfance. Il se souvint avec une certaine tendresse que la première fois qu'il l'avait vue – ils avaient tous les deux à peine cinq ans - elle ne portait pas non plus de chaussures. Au bout de vingt-trois ans, il avait oublié où mais gardait en mémoire les petons fins et délicats de son amie. Il lui avait avoué une fois. Elle avait ri comme à son habitude et l'avait traité de fétichiste des pieds. Depuis, elle lui envoyait une photographie chaque fois qu'elle le pouvait. Les pieds, ça n'avait ni queue ni tête mais c'était mieux que rien.

Azilis… Sa vie tournait autour d'elle. C'était pour elle qu'il avait appris le langage des signes. Pour elle que les autres membres du groupe l'avaient maîtrisé aussi. Grâce à elle, lui et Morgan avaient pu accueillir un gamin mal-entendant à mi-temps dans leur classe.

Le mail disait simplement : « Comme tu ne le vois pas, je déjeune dans mon jardin. On se donne rendez-vous à 16h chez moi ? » Par ce biais, elle l'invitait à le rejoindre avant les autres. Il répondit à toute vitesse : « Bien sûr princesse, à toute. » Il hésita à rajouter une bise et décida que non. Il n'y avait rien de plus frustrant qu'un baiser virtuel.

Et il était maintenant grand temps de filer sous la douche.

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