À peine avait-elle posé le pied sur le sol poussiéreux de la petite gare que son regard se posa sur la silhouette d'une femme qui l'attendait. Elle sourit, un sourire qui semblait tout à fait naturel et sincère. Il n'y avait aucune trace d'hypocrisie, aucun artifice dans son expression. C'était cela, l'air de sa tante Odile : une simplicité qui dérangeait, mais qui lui était totalement étrangère.
« Bienvenue, ma chérie, » dit Odile en la serrant dans ses bras avec une douceur qu'elle n'avait pas l'habitude de recevoir.
Louisa se laissa faire, un peu surprise par cette affection immédiate. Elle n'avait pas vu sa tante depuis des années, et pourtant, cela semblait comme si elle n'était jamais partie. Odile sentait la lavande, et son parfum enveloppa Louisa, comme une caresse inattendue. Ses cheveux, argentés par l'âge, étaient tressés en une coupe simple mais soignée. Ses yeux, d'un bleu paisible, semblaient regarder le monde avec bienveillance, mais aussi une certaine curiosité, comme si chaque moment était un cadeau précieux.
« Alors, prête à découvrir la vie d'ici ? » demanda Odile, son sourire espiègle cachant une pointe de malice.
Louisa hésita un instant. « Je suppose que je n'ai pas le choix. »
« Tu te feras vite à la simplicité, ma chère. Ici, il n'y a rien de compliqué. »
Louisa haussait les épaules, un peu blasée. Elle avait toujours trouvé cette philosophie un peu naïve. Pour elle, la vie n'était pas une question de simplicité. C'était une question de conquête, de réalisation, d'ambitions. La campagne, avec ses moutons et ses champs interminables, lui paraissait si loin des feux de la ville où elle avait grandi.
Le trajet en voiture fut long. La route serpentait à travers des paysages verdoyants, mais Louisa n'y prêta guère attention. Son regard se perdit dans le paysage, son esprit naviguant entre la frustration de devoir être là et le sentiment étrange qu'elle ressentait d'être coupée du monde. C'était une sorte de liberté involontaire, et pourtant, elle n'avait aucune envie d'y goûter.
« Les gens ici sont simples, mais ils ont une sorte de sagesse qu'on oublie parfois dans la ville, » poursuivit Odile, comme pour briser le silence qui s'était installé. Louisa leva les yeux vers elle, attendant de voir si la conversation allait prendre un autre tournant. Mais sa tante se contenta de sourire sans se départir de sa sérénité.
Lorsque la voiture s'arrêta devant une petite maison en pierre, Louisa se sentait aussi perdue qu'au début de ce voyage. La maison semblait respirer la tranquillité, mais elle lui paraissait presque trop tranquille. Les volets étaient ouverts, et l'odeur de pain frais flottait dans l'air, mais rien n'éveillait son intérêt. Elle n'était pas prête à abandonner son monde et ses habitudes pour une existence aussi ordinaire.
« Viens, entre. Je t'ai préparé quelque chose à manger. »
Le repas était simple, mais délicieux : une soupe chaude et un pain fait maison qui se déchiquetait sous les doigts, une salade croquante de légumes frais du jardin, et pour finir, des fruits de saison. Louisa mangea en silence, distraitement, jetant quelques regards furtifs autour d'elle. La maison était décorée avec goût, mais il y avait une simplicité qui contrastait avec la richesse de ce à quoi elle était habituée. Les meubles étaient anciens, patinés par le temps, mais ils semblaient remplis d'histoire et de chaleur.
« Je suppose que tout cela te paraît... étrange, » dit Odile, observant Louisa.
« Un peu, » avoua Louisa, sans vraiment chercher à cacher sa gêne. « C'est... tout petit ici. »
« Tu t'y feras. C'est un autre genre de vie, mais il n'est pas moins précieux. »
À peine avait-elle terminé sa phrase qu'un bruit de moteur attira son attention. Louisa se leva brusquement, curieuse malgré elle. Elle se dirigea vers la fenêtre et aperçut une silhouette qui s'éloignait dans la rue principale du village. C'était un homme, seul, à bord d'une voiture noire élégante, qui semblait presque hors de place dans cet environnement si calme.
« Qui est-ce ? » demanda-t-elle à sa tante, une pointe de curiosité dans la voix.
Odile tourna la tête et, suivant le regard de Louisa, observa l'homme qui s'éloignait. « C'est Raphaël Belmont, » répondit-elle d'un ton neutre, mais il y avait une sorte de retenue dans sa voix. « Il vit dans la maison à la lisière du village. Un homme... étrange. »
« Étrange ? » répéta Louisa, intriguée. L'homme qu'elle venait d'apercevoir avait quelque chose d'intrigant, presque magnétique. Il avait les traits marqués par les années, mais ses yeux, cachés sous des sourcils broussailleux, semblaient insondables. Sa prestance dénotait un homme habitué au luxe, mais qui se retrouvait dans cet endroit si tranquille, presque en retrait du monde.
« Oui, étrange, » répéta Odile. « Il est un peu... solitaire. Il évite la compagnie, ne s'intéresse à personne, sauf lorsqu'il doit acheter des produits pour sa maison. Mais il a toujours une aura, tu sais ? Une sorte de distance. »
Louisa fronça les sourcils, mais un autre détail lui revint à l'esprit. « Pourquoi vivre ici, alors, dans ce village paumé ? »
« Je ne sais pas. Il y a des années, il a quitté le monde des affaires. Il est resté là-bas, à l'écart de tout. C'est un choix, je suppose. »
Un silence lourd s'installa. Louisa s'éloigna de la fenêtre et retourna à table. Son esprit était désormais occupé par cette rencontre inattendue. Raphaël Belmont. Elle avait l'impression qu'il portait un secret. Son regard, ce soir-là, était encore gravé dans sa mémoire. C'était un homme qui semblait posséder des mondes à l'intérieur de lui, des univers qu'elle ne comprenait pas encore.
La soirée passa lentement. Louisa se coucha tôt, épuisée par la journée, mais son esprit tourmenté par mille pensées. Elle se demandait si ce village allait réellement changer sa perception du monde, ou si c'était simplement une autre étape imposée par sa mère. Elle n'était pas certaine de ce qu'elle recherchait ici, mais une chose était certaine : le regard de Raphaël Belmont ne la quittait pas.
Le matin, après un petit-déjeuner frugal préparé par Odile, Louisa sortit faire un tour dans le village. Les ruelles étroites, les maisons pittoresques et les visages souriants des habitants formaient un tableau que Louisa trouvait à la fois apaisant et un peu ennuyeux. Il n'y avait pas de place pour les ambitions et les désirs effrénés qu'elle avait cultivés dans son monde précédent. Tout ici semblait figé, comme si le temps s'était arrêté.
Alors qu'elle marchait près du petit lac au centre du village, elle aperçut Raphaël de loin. Il était assis sur un banc, seul, les yeux perdus dans le paysage. Il semblait si distant, presque hors de portée. Elle s'arrêta un instant, hésitant, mais avant qu'elle ne puisse faire un mouvement, il tourna la tête et leurs regards se croisèrent. Ses yeux sombres la fixèrent, comme s'ils avaient vu au-delà de son masque. Louisa se sentit soudainement gênée, prise au piège de ce regard qui semblait tout comprendre sans qu'un mot ne soit échangé.
Elle s'éloigna rapidement, son cœur battant plus fort. Une étrange sensation d'irrésistible attraction et de danger naissait en elle, comme si cet homme avait quelque chose à lui offrir, quelque chose de dangereux et irrésistible. Elle savait, d'une manière ou d'une autre, que sa rencontre avec lui ne serait pas anodine.