SUR SES PAS

Chapitre 1 : Une nouvelle résolution

Dans la grande salle communale qui a été prêté à notre petite association de danse, moi et une dizaine de filles, nous déhanchons au rythme d’une musique africaine endiablée.

Les haut-parleurs battent le rythme tandis qu’en quinconce on suit à la lettre notre chorée.

On répète nos pas, les coordonnons sur le décompte que Djenaba, alias Djé, répète à voix haute.

_ Et un, et deux et trois…

La transpiration ruissèle le long de mon dos, mes muscles me font mal mais je dois tenir.

Je dois tout faire pour perfectionner mes mouvements, et réussir à dégager de la grâce dans ce que je fais.

Notre représentation de la fête de la musique approche à grand pas. Et il va sans dire que cet événement est super important pour moi. Il sera peut-être même le plus important de ma vie tout entière.

J’ai appris par hasard que Samy Drahi allait peut-être présent ce soir-là.

Et de savoir qu’il va me voir danser, me met une pression de fou malade.

Pour faire bref et simple, Samy est le garçon le plus cool de mon quartier, le plus beau aussi.

J’ai la chance de l’avoir comme voisin même si je ne lui ai jamais vraiment parlé.

Enfin en dehors d’une fois, où il avait pris ma défense devant notre bâtiment, alors que d’autres gamins se moquaient de mon poids, en me poussant.

Je devais avoir douze- treize ans et lui la quinzaine.

Complètement humiliée par le fait qu’il entende ce que l’on m’avait dit, et qui était vrai d’une certaine manière, je lui avais crié de se mêler de ses affaires et que je n’avais pas besoin de sa pitié.

Un autre larron m'aurait insulté sur place pour mon impolitesse, seulement lui, il avait répondu d’un sourire bienveillant. Son comportement m'avait étonné et m’avait un peu fait regretter mon attitude de pitbull enragé. On n’a pas tous les moyens de rester cool en toute circonstance. Et pour ma défense, j'étais jeune et mal dans ma peau.

Après cette intervention, je me suis surprise à penser régulièrement à Samy. Et il n’avait plus jamais quitté mon esprit après ça ; même si je savais qu’entre nous, toute histoire était courue d’avance.

En dehors de son statut de beau gosse populaire dans mon quartier, Samy était surtout le meilleur danseur de la ville.

Que dis-je ? Du pays tout entier.

Avec sa troupe, ils ont gagné pas mal de concours et sont même passés à la télé, il y a quelques mois de ça.

Une émission de danse et de chant sur la chaîne câblée, le genre qui était censée dénicher de jeunes talents hors normes.

Je m’en souviens comme si c’était hier.

Je regardais cette émission surtout pour le chant, car c’était ce qui m’avait toujours intéressé avant ce fameux jour.

Sa troupe et lui, ils étaient tellement beaux et class dans leurs tenues de hip-hop.

Et quant à leur performance, on pouvait dire qu’ils avaient mis le feu à la scène. Le public était en liesse, le jury n'en revenait de leur prestation, quant à moi, je me rendais compte qu'il faisait toujours autant battre mon coeur. Même bien plus intensément qu'avant...

Juste après, Samy qui était le chef de la troupe avait pris la parole.

J'ai compris à ce moment-là que mon amour d'enfance ne savait pas que danser, il savait bien parler aussi…

Devant des milliers de personnes, il avait expliqué comment à force de travail et de persévérance, ses amis et lui, s’étaient frayés un chemin dans le cercle très fermé de la dance.

Comment ils ont réussi à se démarquer malgré les difficultés et la concurrence.

Car avant d'être prit dans l'émission et d'apparaître à la télé, lui et sa bande, avaient affronté un bon nombre de candidats lors des sélections.

Son intervention charismatique lui valut un tonnerre d’applaudissements. Il avait touché le cœur des gens et galvanisé le mien.

Les mots qu’il avait prononcés, m’avaient poussés à me remettre en question. À me motiver pour me sortir de ma situation désespérée.

Le surpoids avait gâché mon enfance et l’obésité, une bonne partie de mon adolescence.

Je n'avais aucune confiance en moi et je détestais mon corps plus que tout.

Le plus grave je crois, c'était l'isolement.

J'avais fini par ne plus vouloir voir personne, et sortir de chez moi me coutait de plus en plus.

A tel point, que je me faisais porter pâle des semaines entières pour ne pas aller en cours. Inventant à chaque fois un nouveau mal mystérieux.

Ce soir-là, devant mon poste de télévision et devant le sourire triomphant du beau Samy, je m’étais fait une promesse.

Celle de changer.

De me donner les moyens de me sortir de mes problèmes. Et tout comme mon amour d'enfance, réussir à me hisser hors des murs de notre cité pour me réaliser et être enfin digne de lui.

Plus qu'un let motive, Samy est peu à peu devenu un roc auquel je m'accroche.

En arrivant à ma hauteur, Djé m’observe en secouant la tête et lâche :

_ Sérieux Mimi, si tu veux rêvasser attends au moins la fin du cours.

_ Euh, pardon…

Tout en balbutiant mes excuses, je réactive la cadence et tente de chasser de mon esprit, l’image trop présente de Samy.

Mon corps est plus lent et plus lourd que celui des autres filles, donc chaque pas me demande des efforts supplémentaires. La douleur est assez ténue seulement je n'abandonne pas. Je refuse de paraître plus faible ou moins performante que mes camarades et pour lisser l'écart, je mets les bouchées doubles.

Depuis quelques mois, j’ai pourtant perdu une quinzaine de kilos mais c’est encore loin d’être suffisant. La norme attendue d'une jeune fille de mon âge est sévère, et par la même intenable quand on a la nourriture pour seule amie et seul réconfort.

Pour revenir à un simple surpoids, je dois encore perdre six kilos, et le palier que j’affronte depuis plus d’un mois, me démoralise sérieusement.

L'envie d'abandonner me tiraille mais de savoir que Samy me verra sur scène bientôt, m'aide à tenir...