Un cliché accompagnait le texte. Pas de visage, juste une paire de jambes.
Des chaussettes blanches tirées jusqu'aux mollets, des chaussures noires vernies, et une jupe à carreaux bleus et blancs relevée juste assez pour dévoiler des genoux rougis. Une photo à la fois innocente et provocante.
Cette fille avait la fraîcheur et la spontanéité de la jeunesse, un mélange d'ingénuité et de sensualité qui donnait à l'image un caractère presque irréel. Le genre d'attrait discret mais irrésistible.
On disait souvent que les hommes riches finissaient toujours par céder à ce genre de tentation.
Les doigts de Corinne se crispèrent sur le téléphone. Ses jointures blanchirent.
Un autre message s'afficha aussitôt :
M. Amez, retrouvons-nous à l'hôtel Elysian ce soir. J'aimerais célébrer votre anniversaire.
L'anniversaire d'Arman. Et c'est sa maîtresse qui lui organisait sa fête.
Sans réfléchir davantage, Corinne attrapa son sac et quitta la maison. Elle devait savoir qui était cette fille.
L'hôtel Elysian se dressait au bout de la grande avenue, éclatant sous les néons. En arrivant, Corinne se sentit bouillir. Elle était prête à tout détruire.
Mais avant même de franchir les portes vitrées, une silhouette familière la figea : ses parents. Hadrien Tine et Lilly Garcia.
Elle s'avança, incrédule.
- Papa ? Maman ? Qu'est-ce que vous faites ici ?
Ils échangèrent un bref regard avant de répondre, nerveux :
- Oh, Corinne... ta sœur est revenue de l'étranger. Nous sommes venus la déposer.
Sa sœur ? Cassy Tine ?
Le sang de Corinne se glaça. Elle se tourna vers la grande baie vitrée de l'hôtel, et là, à l'intérieur, elle la vit. Cassy.
Et sur elle... la même jupe bleue et blanche.
Le monde de Corinne s'écroula.
Cassy, l'éternelle favorite, surnommée « la Rose Écarlate » de Mercity, la beauté dont les jambes parfaites avaient fait la réputation. Ces jambes-là, celles qui faisaient tourner toutes les têtes... c'étaient les mêmes que sur la photo.
Et maintenant, ces jambes appartenaient à la maîtresse de son mari.
Un rire nerveux échappa à Corinne. Elle se tourna vers ses parents, amère.
- Donc, tout le monde était au courant sauf moi.
Le visage de son père se crispa.
- Corinne, il faut être lucide. Arman n'a jamais eu de sentiments pour toi.
Sa mère ajouta d'un ton sec :
- Et puis, regarde les choses en face. Combien de femmes à Mercity donneraient tout pour être à la place de Cassy ? C'est mieux que ce soit ta sœur, non ?
Corinne sentit la colère monter.
- Je suis aussi votre fille ! cria-t-elle, la voix tremblante.
Elle tourna les talons, mais la voix de sa mère la retint.
- Dis-moi, Corinne... est-ce qu'Arman t'a seulement touchée ?
Le pas de Corinne se suspendit.
Son père soupira, fatigué.
- Tu fais comme si on t'avait trahie, mais rappelle-toi : à l'origine, c'est Cassy qu'il devait épouser. Ils formaient le couple parfait. Ce mariage n'a eu lieu qu'après l'accident, quand Arman était dans le coma.
Lilly haussa les épaules avec dédain.
- Regarde-toi. Trois ans enfermée à jouer la parfaite épouse, pendant que ta sœur danse sur toutes les scènes. Elle est devenue un cygne. Toi, tu n'as jamais été qu'un vilain petit canard. Sois raisonnable. Rends-lui Arman.
Ces mots furent comme des coups de couteau. Corinne ne répondit pas. Elle s'éloigna lentement, le cœur brisé.
Quand elle rentra à la villa, la nuit était tombée depuis longtemps. Elle avait renvoyé la gouvernante pour la soirée. La maison était silencieuse, glaciale.
Corinne s'assit seule devant la table dressée. Le repas était froid. Les bougies éteintes. Le gâteau, intact. Sur la crème, on lisait encore les mots : Joyeux anniversaire, mon amour.
Elle resta là, à fixer cette inscription ridicule, l'esprit vide. Tout lui paraissait grotesque.
Trois ans plus tôt, Arman et Cassy étaient inséparables. Leur histoire faisait rêver tout Mercity. Jusqu'à cet accident. Arman, dans le coma. Cassy, disparue.
La famille Tine avait alors sorti Corinne de la campagne pour la marier à Arman, inconscient, sous prétexte de sauver la réputation de tous.
Mais pour Corinne, c'était une bénédiction. Elle aimait Arman depuis toujours. Elle avait accepté sans hésiter.
Pendant trois ans, elle s'était dévouée à lui, jour et nuit. Pas un seul jour sans le veiller, sans espérer son réveil. Elle avait abandonné tout le reste.
Et un matin, miracle : Arman avait ouvert les yeux.
Corinne alluma les bougies du gâteau. La flamme tremblotante illumina son reflet dans le miroir. Une femme en robe terne, fatiguée, sans éclat.
Cassy, elle, brillait sur scène, belle et sûre d'elle.
Arman s'était réveillé, avait retrouvé Cassy, et avait aussitôt oublié Corinne.
Trois ans d'amour, de soins, de sacrifices... effacés d'un souffle.
Elle souffla les bougies. La pièce retomba dans le noir.
Puis des phares traversèrent les vitres. Une voiture s'arrêta devant la maison. La Rolls-Royce d'Arman.
Son cœur s'emballa. Il était rentré.
La porte s'ouvrit brusquement. Arman entra, grand, impeccablement vêtu, une aura froide autour de lui.
- Pourquoi t'es dans le noir ? demanda-t-il, la voix calme, presque lassée.
Il alluma une lampe. La lumière blanche fit mal aux yeux de Corinne.
Elle leva la tête. Il portait un costume sombre parfaitement ajusté. Toujours aussi beau. Toujours aussi lointain.
- C'est ton anniversaire, dit-elle simplement.
Arman jeta un regard à la table dressée.
- J'ai pas besoin de ça. Les anniversaires ne m'intéressent pas.
Corinne esquissa un rire sans joie.
- Ou alors c'est juste avec moi que tu ne veux pas les fêter ?
Il haussa les épaules, déjà prêt à partir.
- Fais comme tu veux.
Il se détourna vers l'escalier. C'était toujours ainsi : elle essayait de le retenir, lui s'éloignait.
- Arman, attends. Je veux te faire un cadeau, dit-elle d'une voix tremblante.
- Garde-le. J'en veux pas.
Elle inspira, puis lâcha d'un ton calme :
- Mon cadeau, c'est le divorce.
Il s'arrêta net sur la première marche. Lentement, il se retourna. Son regard, sombre et perçant, se planta dans le sien.
Corinne fixa Arman, sa voix tranquille mais déterminée.
- Divorçons, Arman. Joyeux anniversaire, d'ailleurs. Tu l'aimes, mon cadeau ?
Arman resta impassible.
- Tu veux divorcer juste parce que je n'ai pas fêté mon anniversaire avec toi ?
- Cassy est revenue, n'est-ce pas ? murmura-t-elle.
Un rictus traversa les lèvres d'Arman. Il s'approcha d'elle d'un pas décidé.
- Elle t'ennuie à ce point ?
Dans tout Mercity, Arman Amez était connu comme l'un des plus jeunes chefs d'entreprise les plus puissants du pays. Il imposait le respect, naturellement, sans élever la voix. En le voyant avancer, Corinne eut un mouvement de recul. Son dos heurta le mur froid.
La pièce sembla se rétrécir. Arman leva le bras et appuya sa main contre le mur, la bloquant entre lui et la cloison. Son regard, dur et moqueur, plongea dans le sien.
- Tout le monde sait que je vais épouser Cassy. Tu l'ignorais quand tu t'es arrangée pour devenir ma femme ? Ça ne te gênait pas, à l'époque. Alors, pourquoi maintenant ?