Tic-tac, tic-tac. Vous reconnaissez ce bruit que l'on entend au fond de notre oreille ?
Celui qui se fait silencieux même lorsqu'on la regarde. J'aime la voir bouger. La voir tourner. Presque tout le monde en possède une sans vraiment y porter attention. Certains la regardent une ou deux fois par jour, d'autres toutes les cinq minutes, sans vraiment la voir.
J'aime l'approcher de mon oreille et l'écouter. Tic-tac, tic-tac, ce petit bruit aussi régulier soit-il, me rappelle le temps qui passe et qui m'appartient.
Ma montre indique 16 h 25. Encore cinq tours de cadrans et ma journée d'école sera finie. Ce soir c'est le week-end. Je vais pouvoir traîner sur le chemin du retour. Pas besoin de rentrer vite, pour vite goûter, vite se doucher pour vite dîner et vite se coucher.
J'aime les vendredis. Ils sont doux et pleins de promesses.
16 h 28, je commence à ranger discrètement mes stylos dans ma trousse sans que la maîtresse s'en aperçoive. Je souris, acquiesçant à ses explications de dernières minutes pour les devoirs du week-end.
16 h 30, la sonnerie retentit dans toute l'école. Je saute de ma chaise, prête à franchir, la première, le portail de l'école.
Depuis à peu près 267 840 tours de cadrans, c'est-à-dire environ 6 mois, ma famille de cœur m'autorise à rentrer seule de l'école. Normal, je suis une grande maintenant, j'ai 7 ans !
J'habite un petit hameau. Le hameau du sentier des sources est bordé d'une jolie rivière qui se jette dans le lac un peu plus loin. Il faut y vivre pour le croire, mais le hameau est sympathique à y vivre. C'est vrai que le soleil d'hiver ne s'y attarde pas trop, mais il a l'avantage de ressembler à une jolie crèche vivante. L'automne, le soir tombant, on peut y voir flotter les lumières aux fenêtres des quelques habitations et autres fermes parsemées dans les plaines.
J'adore en toutes saisons m'y promener et sentir les odeurs de foin fraîchement coupé ou des bêtes réfugiées dans les écuries.
Ce soir, la fraîcheur des premiers soirs d'hiver me surprend. Je décide de couper par le petit chemin qui borde le lac des sources. J'aime m'y attarder pour donner aux canards le reste du pain de la cantine.
Les couleurs des feuillus se reflètent dans le lac. Pas une fin d'après-midi n'est la même. Tantôt vert canard, tantôt orageux et brumeux, selon l'humeur de mère Nature, le lac reflète son âme par écho.
Ce vendredi, le temps me presse de rentrer à la maison. Le lac sombre, les canards aux abonnés absents. Je disperse mes bouts de pain tel le Petit Poucet qui sème sur son passage pour retrouver son chemin. Mes bottes de pluie roses à petits pois pressent le pas dans un craquement de feuille croustillant. Évitant une goutte de pluie par ci, un flocon de neige par-là, je m'imagine déjà demain, le lac silencieux sous son manteau blanc, la neige faisant office d'acouphène, me laissant pantelante face à ce paysage mystérieux.
Je ne l'ai jamais vu, ce paysage.
Le lendemain, les gros titres des journaux annonçaient :
«Massacre aux sentiers des sources, une famille dévastée.»