Je restai immobile devant l'autel, drapée dans une robe blanche bien trop élégante pour mes goûts, et bien trop lourde pour mon confort. Les talons aiguilles que je portais me meurtrissaient les pieds, et mes jambes tremblaient à force de rester figées.
Je serrai les poings, puis les relâchai pour la centième fois peut-être davantage, je ne comptais plus. La dentelle pailletée des manches longues me grattait la peau, mais personne ne s'en souciait. Je n'avais pas choisi cette robe. Je n'avais jamais rencontré mon futur mari. Et surtout, j'étais amoureuse d'un autre.
Mais rien de tout cela ne comptait.
Parce que moi, Malissa Maxford, j'étais sur le point d'être forcée à épouser l'héritier du plus grand syndicat mafieux au monde.
L'église de marbre blanc était glaciale, pourtant la sueur perlait sur ma nuque tant l'inconfort me rongeait. Je ne savais plus depuis combien de temps je restais plantée là, à attendre l'homme que je devais épouser. Deux heures ? Trois ? Peut-être plus. L'assistance, tout autour, commençait à s'agiter, impatiente et nerveuse.
Si ce mariage avait été le mien, j'aurais été dévastée que le marié ne vienne pas.
Mais en vérité, je m'en moquais.
S'il ne venait jamais, ce serait encore mieux. Le mariage serait annulé, et ma grand-mère et moi pourrions retourner à notre vie tranquille.
Je tournai la tête vers elle. Ma grand-mère, frêle et malade, était assise dans son fauteuil roulant, une infirmière derrière elle. Son visage fatigué me serra le cœur. J'espérais que tout cela finirait vite pour qu'elle puisse rentrer se reposer à l'hôpital. Les médecins ne m'avaient rien promis, mais je voyais bien que le temps lui échappait.
« Où est le marié ? » demanda un homme à voix basse.
« Bonne question... Ça fait presque trois heures qu'on attend », répondit un autre en étouffant un bâillement.
« Chut ! Le patron te tuera s'il t'entend », souffla un troisième.
« Quelqu'un l'a retrouvé ? » s'enquit une voix plus grave.
« J'ai déjà envoyé des hommes de mon escouade. Ça ne devrait plus tarder... » répondit un autre sans grande conviction.
« Ne fixe pas le patron, il te tuera s'il t'attrape du regard... »
« C'est clair, il n'est pas d'humeur aujourd'hui. »
« Mais qu'est-ce que ce fichu fils est en train de faire ? » murmura quelqu'un d'un ton venimeux.
« C'est son mariage, et il n'est même pas là... »
« Et c'est lui qu'on veut voir succéder à son père ? Quelle blague ! » grommela un vieil homme.
« Pas si fort, le patron pourrait t'entendre ! » tenta de l'arrêter son voisin.
« Si seulement son frère était encore en vie... » poursuivit le vieillard sans se soucier du danger.
« Parlons-en plus tard. J'espère qu'il va finir par arriver, cette église est glaciale », ajouta un autre, grelottant.
Je ne pouvais qu'être d'accord.
Eux, au moins, portaient des costumes.
Moi, mes bras n'étaient protégés que par une fine dentelle transparente.
Le vieux prêtre qui se tenait devant moi était pâle, visiblement stressé par la tournure des événements. Pauvre homme, je me demandais ce qu'il avait bien pu faire pour mériter ça. Il était resté immobile aussi longtemps que moi ; à son âge, ses jambes devaient lui faire souffrir.
« Euh... peut-être vaudrait-il mieux reporter... » suggéra-t-il d'une voix hésitante et basse.
« Tais-toi, vieux ! Je te tire une balle en pleine tête ! » tonna au sommet de sa rage le cerveau de toute cette mascarade nuptiale.
Mon Dieu... c'est une arme ? C'est bien un pistolet ? Il est vrai ?
Mes yeux s'écarquillèrent d'effroi. Je souhaitai disparaître sur-le-champ. J'étais certaine d'être plongée dans un cauchemar et je me persuadai, en fermant les paupières, que tout cela n'était qu'un mauvais rêve. Mon corps tremblait de peur. Je jetai un coup d'œil vers ma grand-mère. Par chance, elle n'avait pas eu d'arrêt cardiaque.
Quand j'ouvris les yeux, mon pire cauchemar se confirma : ce qui se passait était bien réel. L'homme le plus influent de la pègre pointait un revolver sur le vieux prêtre. Le chef mafieux qui m'avait forcée à ce mariage contractuel avait le visage rouge de colère et menaçait le prêtre avec une arme.
Le clan Torex, c'était du lourd. Quand le patron m'avait dit le prénom d'Hayden, je n'avais pas eu besoin de demander son nom de famille. Héritier des Torex, son nom était tout trouvé : Torex.
On racontait que le fondateur de la famille avait fait de son nom de famille celui du gang, et que tous les membres portaient quelque part sur eux le tatouage d'un loup. Je n'avais aucun moyen de vérifier si c'était vrai, mais la rumeur courait.
La famille Torex était mondialement connue et vivait au-dessus des lois. Leurs affaires louches étaient du domaine public, même pour une personne ordinaire comme moi, qui n'avait rien à voir avec le milieu. Leur réseau s'étendait sur plusieurs continents et touchait de nombreux secteurs.
Certaines entreprises étaient affichées au grand jour, légales et prospères ; d'autres restaient profondément clandestines.
Je n'en savais pas tous les détails ,personne ne les connaît vraiment mais ce que tout un chacun pouvait entendre ou deviner, c'était qu'ils avaient des intérêts dans le tourisme, la santé, le divertissement... et dans toutes les activités illégales qu'on associe aux mafias : trafic d'êtres humains, drogues, casinos, commerce d'armes, et ainsi de suite.
À dire vrai, aucune preuve formelle n'avait jamais été trouvée pour prouver ces affaires louches : c'était probablement ainsi qu'ils se maintenaient au-dessus des lois, en achetant les gardiens mêmes de la loi.
Qu'importe la véracité des rumeurs, les Torex et leurs affiliés restaient dangereux. Et moi, j'étais sur le point d'épouser l'un d'eux l'héritier en personne. Jamais, dans mes pires imaginaires, je n'aurais cru être conduite jusqu'ici.
Enfin, pour autant que le marié veuille bien daigner se montrer... ce que je priais secrètement qu'il n'ait jamais fait.