Cachée dans l'ombre, je l'ai entendu me qualifier de « Oméga bouche-trou », un simple pion politique qu'il rejetterait publiquement une fois qu'un nouveau traité serait signé. Mes parents adoptifs, l'Alpha et la Luna, étaient complices. Toute ma vie, mon lien prédestiné, n'était qu'un mensonge soigneusement orchestré.
À cet instant précis, il m'a envoyé un message par lien télépathique : « Tu me manques, ma douce. »
La cruauté désinvolte de ce message a consumé mes larmes, ne laissant place qu'à une rage froide et implacable.
Ils prévoyaient mon humiliation publique lors d'un grand dîner. Mais j'avais préparé un cadeau pour la fête d'anniversaire de son fils, programmé pour être livré exactement au même moment.
À l'intérieur se trouvait un cristal de données contenant chacun de leurs secrets.
Chapitre 1
Point de vue de Sélène :
L'odeur stérile d'antiseptique et d'herbes séchées s'accrochait à mes vêtements, un parfum familier après une garde de trente-six heures au dispensaire de la meute. Mes muscles étaient endoloris, une brûlure profonde et satisfaisante après avoir réparé des ligaments déchirés et remis en place des os brisés suite à une escarmouche à la frontière. Mais l'épuisement était un faible prix à payer. Tout ce à quoi je pouvais penser, c'était lui.
Damien. Mon compagnon. Mon Alpha.
Son plat préféré, un épais pavé de bœuf saignant accompagné de champignons des bois, était encore chaud dans la boîte isotherme que je portais. Il avait été enfermé toute la journée dans une réunion de haut niveau du conseil, planifiant la prochaine expansion commerciale de la meute. J'imaginais le sourire reconnaissant qui illuminerait son visage sévère quand j'entrerais. Une petite surprise, un moment de paix rien que pour nous.
Les gardes devant les grandes portes en chêne de la salle du conseil se tenaient rigides, leurs visages impassibles.
« Je suis ici pour voir l'Alpha Damien », dis-je, offrant un sourire fatigué mais plein d'espoir.
L'un des gardes, un guerrier nommé Marc, a évité mon regard.
« L'Alpha est parti il y a une heure, Sélène. »
« Parti ? » La chaleur de la boîte isotherme est soudain devenue un poids mort dans mes mains. « La réunion devait durer jusqu'après minuit. »
« Il a dit qu'une urgence était survenue », marmonna Marc, son regard fixé sur un point par-dessus mon épaule.
Un nœud d'angoisse s'est resserré dans mon estomac. Une urgence ? Il me l'aurait dit. Il me disait toujours tout.
Nous avons un lien télépathique, une connexion sacrée offerte par la Déesse Lune aux compagnons prédestinés. C'est notre sanctuaire privé, un flux de pensées et d'émotions censé ne circuler qu'entre nous. Pendant des années, j'avais senti son amour comme un courant constant et régulier sous la surface de mes propres pensées.
Je fermai les yeux, me retirant dans le silence de mon esprit pour le chercher.
*Damien ? Est-ce que tout va bien ?*
Silence.
Pas seulement le silence, mais un mur froid et délibéré. Le lien était là, mais c'était comme crier dans une caverne vide. Un frisson, froid et vif, a parcouru ma colonne vertébrale. C'était différent. Plus froid. Pendant des années, j'avais confondu sa distance mentale avec le stress du commandement, mais ceci était une porte délibérément verrouillée.
La panique a commencé à bouillonner dans ma poitrine. Je l'ai refoulée, me concentrant. L'odeur d'un compagnon est la signature de son âme, unique et indéniable. J'ai pris une profonde inspiration, filtrant l'odeur de terre humide et de pin de la forêt environnante, à la recherche de la sienne.
La voilà. Faible, mais sans équivoque. Bois de cèdre après l'orage, avec une pointe vive et nette de vent d'hiver. C'était l'odeur qui me l'avait annoncé comme mien, l'odeur qui faisait ronronner mon loup intérieur avec un sentiment de foyer.
Mais il ne se dirigeait pas vers notre maison. Il s'en éloignait, vers l'extrême lisière du territoire de la meute de Fontainebleau.
Mes pieds se sont mis en mouvement avant que mon esprit ne puisse réagir, suivant la piste fantomatique. Le chemin m'a éloignée des maisons familières de la meute et des terrains d'entraînement, pour m'entraîner dans une partie isolée des bois que je n'avais jamais explorée. Niché dans une clairière se trouvait un chef-d'œuvre moderne de verre et de bois sombre, un manoir qui criait la richesse et le secret. Il n'était sur aucune carte de la meute.
Des lumières brillaient à l'intérieur, se déversant sur une pelouse manucurée. Mon cœur battait à tout rompre contre mes côtes, un tambour frénétique de terreur. Je me suis approchée en rampant, me cachant dans l'ombre profonde d'un chêne ancien.
À travers une immense baie vitrée, je l'ai vu.
Mon Damien.
Il ne portait pas sa tenue formelle d'Alpha. Il était vêtu d'un pull doux et décontracté, et il riait. Un rire profond et sincère que je n'avais pas entendu depuis des années. Sur ses épaules, piaillant de joie, se trouvait un petit garçon, âgé de quatre ou cinq ans peut-être.
Puis, une femme est entrée dans le cadre, sa main reposant sur le bras de Damien avec une intimité désinvolte.
Lyra.
La fille de l'Alpha de Hauteroche. Il y a cinq ans, sa meute avait été prétendument décimée lors d'une attaque de renégats. On nous avait dit qu'elle était la seule survivante, envoyée dans un territoire neutre pour se remettre de graves blessures. Elle n'avait rien d'une blessée maintenant. Elle était rayonnante, radieuse, ses yeux fixés sur Damien avec une adoration possessive.
Un grognement bas et guttural s'est échappé de ma propre gorge, le son de mon loup griffant l'intérieur de ma poitrine, désespéré de briser la vitre et de déchirer la scène qui se déroulait sous mes yeux.
Je me suis déplacée silencieusement le long du mur de la maison, mes chaussures à semelles souples de guérisseuse ne faisant aucun bruit. Une porte-fenêtre était entrouverte, laissant entrer l'air frais de la nuit et sortir leurs voix.
« ... juste un peu plus longtemps, mon amour », disait Damien, sa voix un murmure bas alors qu'il posait le garçon à terre. « Une fois le traité de fusion avec Hauteroche finalisé, nous pourrons enfin être une vraie famille. »
« J'en ai marre de me cacher, Damien », la voix de Lyra était tranchante, impatiente. « Je veux être ta Luna. Au grand jour. Pas enfermée dans cette cage dorée pendant que cette Oméga bouche-trou porte un titre qui devrait être le mien. »
*Bouche-trou.*
Le mot m'a frappée avec la force d'un coup physique, me coupant le souffle.
« Sélène a rempli son rôle », a poursuivi Damien, son ton froid et pragmatique. « Son lien prédestiné a maintenu mon loup stable. C'était une nécessité politique pour assurer ma transition vers le statut d'Alpha. Mais toi, Lyra, et Léo... vous êtes mon avenir. Ma dynastie. »
Le garçon, Léo, a couru vers Lyra.
« Maman, est-ce que Papa peut me lire une histoire ce soir ? »
Ma vision s'est brouillée. Leur fils. Mes parents adoptifs - l'Alpha et la Luna de notre meute - ils savaient. Ils devaient savoir. Le financement d'un tel endroit, le secret... cela ne pouvait être sanctionné que par les plus hautes instances.
Mon monde, autrefois un foyer stable et aimant, s'est fracturé. L'amour que je pensais avoir, la famille que je chérissais, le compagnon que j'adorais - tout cela n'était qu'un mensonge. Une cage soigneusement construite pour me garder docile et utile.
À cet instant, une présence chaude et familière a effleuré mon esprit. Le lien télépathique.
C'était Damien.
*Je viens de finir la réunion. Tellement fatigué. Tu me manques, ma douce.*
Le mensonge, si désinvolte, si cruel, fut le coup de grâce. La douleur fut si immense qu'elle a consumé mes larmes, laissant derrière elle quelque chose de froid, de dur et de terriblement lucide.
Dans les ruines de mon cœur brisé, la vengeance a commencé à prendre racine.
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