« Camille ? » Sa voix perça dans l'air épais de la pièce.
Elle leva la tête, décomposée, avec un regard qui semblait lui dire « tu m'as vue ». Puis, elle se détacha de l'homme, un sourire forcé aux lèvres. Un sourire qu'il connaissait bien. Elle se leva, lentement, comme si elle avait tout son temps, et marcha vers lui, sans une once de gêne.
« Tu veux quoi ? Que je m'excuse ? » dit-elle d'une voix calme, comme si elle parlait d'un sujet banal. « T'es pas à la hauteur, Louis. Jamais tu ne l'as été. »
Ses mots le frappèrent comme une claque. Il avait toujours eu cette impression, ce doute persisté au fond de lui : et si elle ne l'avait jamais aimé pour ce qu'il était, pour ce qu'il représentait, mais seulement pour ce qu'il pouvait lui apporter ? Elle ne l'aimait pas. Et ce soir-là, tout s'effondrait.
Louis resta silencieux un moment, ne sachant quoi dire. Il avait cru, tellement cru, qu'ils avaient quelque chose, mais tout était un mensonge. Camille, son associée, l'ami qu'il avait pris sous son aile... un tableau grotesque où il était le seul à jouer un rôle sincère.
« Tu m'as menti, » murmura-t-il.
Elle haussait les épaules, comme si tout ça n'avait aucune importance. « Faut bien avancer dans la vie. T'es trop gentil, trop... faible. T'es pas fait pour ce monde-là. »
Là, il sentit la colère monter. Mais c'était une colère froide, une colère de dégoût, de trahison. L'homme qu'il avait été jusqu'à ce soir-là s'éteignait dans cet appartement trop parfait, trop bien ordonné pour être vrai. Il se leva d'un coup, balayant l'air de la main comme pour la chasser.
« Va-t'en. Si t'as un minimum de dignité, va-t'en avant que je fasse un truc stupide, » dit-il, la voix tremblante. Il ne voulait pas la frapper. Il ne voulait même pas la toucher. Mais le vide dans sa poitrine était devenu trop lourd, et chaque mot qu'elle prononçait l'enfonçait davantage dans une douleur qu'il ne pouvait comprendre.
Camille le regarda sans même un remords. Elle sortit, sans un mot de plus, laissant Louis seul avec son âme en miettes. Il se laissa tomber sur le canapé, les mains sur les yeux, en proie à une rage qu'il n'avait jamais ressentie. C'était comme si on venait de lui arracher quelque chose qu'il avait longtemps chéri, quelque chose de pur et de réel. Une part de lui. Elle n'avait jamais été là. Jamais.
Les minutes s'étiraient, l'enfer se prolongeait. Quand il se leva enfin, il n'était plus celui qui était entré quelques heures plus tôt. Il n'était plus celui qui avait cru en l'amour, en cette relation sans faille. Il n'était plus rien. Juste un homme brisé, sans repères, sans force.
Il se rendit compte qu'il n'avait nulle part où aller. Camille était partie, et il ne voulait pas de consolation de ses amis. Ni de conseils. Il avait besoin d'oubli, d'alcool. Il s'habilla mécaniquement, les gestes vides de sens, et sortit dans la nuit. La ville l'attendait, avec son anonymat, sa musique étouffée, ses regards fuyants. Il n'était plus qu'un homme parmi tant d'autres. Un homme en quête de quelque chose pour échapper à la réalité.
Le club privé était un endroit où les gens venaient se perdre, se noyer dans l'oubli. Il avait l'habitude des lieux comme celui-là, mais ce soir, il n'y venait pas pour le même but. Il s'installa au bar, comanda une vodka, puis une autre. L'alcool se glissait en lui comme un baume, sans toutefois anesthésier la douleur. Elle était là, bien réelle, logée au fond de son cœur. L'alcool ne faisait que la rendre plus vive, plus crue. Il se demandait si elle allait rester, cette douleur, ou si un jour elle disparaîtrait.
Un homme s'assit à côté de lui, un type bronzé aux yeux vifs. Un regard rapide. Un sourire. Pas l'homme qu'on attend dans ce genre de lieux. Mais Louis n'avait plus la force d'y prêter attention. Il était trop perdu dans son monde de déception.
« Tu as l'air de porter le poids du monde sur tes épaules, mon ami, » dit l'homme en levant son verre.
Louis tourna la tête vers lui, l'air absent, avant de lui répondre dans un souffle : « Je me suis fait avoir. Par la personne en qui j'avais le plus confiance. »
Le type éclata de rire, un rire franc, sincère. « C'est toujours pareil, mec. Toujours pareil. La femme, c'est le diable quand elle veut. » Il observa Louis un instant, se penchant un peu plus près de lui. « Mais tu sais, tu n'es pas le seul à souffrir, et tu n'es pas le dernier non plus. »
Louis ne répondit pas. Il avait l'impression que le type parlait à travers lui, qu'il n'était qu'un fantôme dans ce bar. Il se retourna et fixa l'écran de télé, les images floues dans sa vision noyée d'alcool. Il se fichait bien de ce qui passait autour de lui. Il n'en pouvait plus. Il voulait juste oublier.
Il enchaîna les verres, les uns après les autres, chaque gorgée le plongeant dans un abîme plus profond. La douleur de la trahison s'estompait à peine, mais la fureur brûlait en lui de plus en plus. À quel moment ça allait se terminer, tout ça ? Combien de verres il lui faudrait encore pour ne plus penser à elle, à Camille, à son sourire parfait et à son regard empli de mépris ?
« Allez, viens avec moi, je connais un endroit où tu pourras te vider la tête, » dit l'homme au bar, un sourire malicieux aux lèvres.
Louis ne se posa même pas la question. Il se leva, la tête en feu, la tête pleine de tout ce qu'il n'avait jamais voulu voir. Il suivit l'homme, sans but, sans rien d'autre que ce besoin étrange de disparaître.