Non, aujourd'hui, tous les yeux étaient fixés sur le prince Léonidas, héritier du trône, réputé pour ses frasques, ses amours passagères et son insouciance apparente. Une figure brillante, mais fuyante, dont la réputation d'enfant gâté et de prince dévoué à son propre plaisir était bien ancrée dans les esprits.
Le prince Léonidas ne semblait jamais en retard à l'appel des festivités, mais dès qu'il s'agissait de discussions plus sérieuses, comme celles du conseil royal, il disparaissait derrière un masque d'indifférence. Ce matin-là, dans la grande salle où se réunissait la cour, sa mère, la reine Éléonore, le scrutait d'un regard que seule une mère pouvait porter, mélange de désillusion et de préoccupation. La Reine avait une idée précise de ce que devrait être un prince capable de régner, et il était certain que Léonidas, avec son insolence et ses airs de jeune homme insouciant, n'était pas celui qu'elle imaginait capable de prendre en main le royaume.
Dans un murmure, elle s'adressa à son conseiller, Marcus, son regard toujours rivé sur son fils. « Il doit prouver qu'il mérite le trône. Il doit se prouver à lui-même qu'il peut mener ce royaume. » La Reine n'était pas une femme que l'on contredisait facilement, mais cette fois, une idée particulièrement précise germait dans son esprit. « Il doit se marier. »
Un silence tomba brièvement sur la pièce, alors que la cour écoutait attentivement. Se marier. Ce n'était pas tant une proposition que le début d'un plan que la Reine allait exécuter avec une détermination froide. Le mariage de son fils serait l'occasion de prouver qu'il avait mûri, qu'il pouvait assumer ses responsabilités. Mais choisir une épouse n'était pas une tâche simple. L'âme du royaume, sa grandeur, ne pouvait être laissée entre les mains de n'importe quelle femme. Elle devait être noble, forte, digne. Et peut-être, en même temps, capable de maîtriser le prince d'une manière que la Reine elle-même n'avait pas su faire.
Ce plan, tout à fait calculé, allait mettre en marche une série d'événements qui allait perturber l'équilibre fragile de la cour et, plus encore, la vie de Léonidas. Il n'avait pas conscience que la décision de sa mère allait bientôt lui imposer une rencontre inattendue, une rencontre qui allait perturber tous ses repères.
Selene. La bibliothécaire.
Elle n'avait rien à voir avec les princesses que Léonidas avait l'habitude de côtoyer. Elle n'était pas noble, n'appartenait pas à la haute société et, surtout, elle n'était pas impressionnée par lui. Elle était une simple servante, une femme dont la place était normalement en dehors des intrigues de la cour. Mais aujourd'hui, ce fut elle qui attira l'attention du prince. Lors d'une réunion du conseil royal, un événement rare se produisit : une voix s'éleva contre la décision du roi. C'était celle de Selene, qui, sans la moindre hésitation, exprima son désaccord avec une proposition faite par un autre membre du conseil. Le silence qui suivit son intervention fut lourd, presque suffocant, mais il y avait quelque chose dans son audace qui fit naître chez Léonidas un mélange d'étonnement et de curiosité.
C'était un moment qu'il n'oublierait pas, car il était rare qu'une personne ose remettre en question une décision en public, encore plus lorsqu'il s'agissait d'un membre du conseil royal. La majorité des nobles et des courtisans souriaient de cette audace, mais aucun d'entre eux n'aurait osé défier la Reine ou les décisions de l'autorité royale de cette manière. Ce n'était ni de l'arrogance ni de la rébellion gratuite. C'était la conviction calme et assurée d'une personne qui savait ce qu'elle pensait et qui n'avait pas peur de le dire. Cette femme l'intriguait.
Quelques jours plus tard, le prince Léonidas, toujours avide de découvrir cette personne audacieuse, fit appel à Selene.
Le regard de Selene était franc, sans aucune trace de crainte ni d'hésitation, lorsqu'elle entra dans la chambre du prince. Il se tenait là, décontracté, son visage lumineux, presque défiant. Il savait que son pouvoir d'intimidation n'était pas aussi grand que celui de sa mère ou de certains des nobles les plus influents, mais son autorité n'en était pas moins présente. Il l'observa quelques instants en silence, un sourire en coin qui lui donnait un air espiègle. « Il semble que vous ayez des opinions bien arrêtées, bibliothécaire. »
Elle ne répondit pas tout de suite, son regard se posant sur lui, analysant sa posture, sa présence. Elle était habituée à des autorités bien plus sérieuses, mais celle-ci semblait... différente. Un prince au charme désinvolte, mais au fond quelque chose d'indéfini, une lumière étrange qui l'attirait sans qu'elle puisse vraiment l'expliquer. « Et il semble que vous ayez des habitudes qui vous rendent aveugle à ce qui se passe autour de vous, Prince Léonidas. » Elle répondit finalement, ne se laissant pas déstabiliser par son sourire.
Le prince, surpris par cette répartie, la fixa un instant. Puis, d'un air faussement courtois, il déclara : « Eh bien, peut-être que nous devrions discuter plus en détail de vos opinions, Selene. J'ai une tâche pour vous. »
Il la fixa, se demandant combien de temps elle tiendrait avant de céder à son autorité. Mais il sous-estimait déjà cette bibliothécaire, qui, dans son esprit, venait de se tracer une ligne invisible, une ligne qu'elle n'était pas prête à franchir.
Ainsi commença leur étrange relation. Une relation marquée par des regards perçants et des paroles calculées, un jeu d'esprit où chacun, à sa manière, cherchait à prendre l'ascendant sur l'autre. Léonidas, qui avait l'habitude d'être entouré de personnes qui se pliaient à ses désirs, était confronté à une situation nouvelle. Pour la première fois, il avait devant lui quelqu'un qui ne cherchait ni à lui plaire, ni à lui rendre service, mais qui, au contraire, semblait le défier à chaque instant. Et cette résistance, aussi subtile soit-elle, éveillait en lui un sentiment qu'il n'avait pas anticipé : une curiosité presque obsédante.
Les jours suivants, Selene se retrouva donc affectée au service personnel du prince, une tâche qui semblait être une punition, mais qui, en réalité, marquait le début de quelque chose de bien plus complexe. Chaque matin, elle devait lui apporter son petit déjeuner, mais ces moments de silence, entre les lourdes portes du prince et les fenêtres fermées, étaient devenus des terrains de jeu pour leurs échanges piquants, souvent empreints de sarcasme, parfois de véritables éclats de vérité.
Léonidas, cependant, commença à réaliser que ce défi ne se contentait pas d'être une simple joute verbale. C'était bien plus que cela. C'était une invitation à découvrir un monde qu'il n'avait jamais exploré auparavant : celui des principes, de la liberté, et peut-être même, sans qu'il veuille l'admettre, celui de l'amour, dans sa forme la plus pure.
Les semaines s'écoulèrent, et avec elles, un étrange climat s'installa entre le prince Léonidas et Selene. Leurs rencontres, d'abord banales, se transformèrent en véritables duels d'esprit. À chaque geste, chaque mot échangé, quelque chose de plus profond se tissait, comme une toile invisible entre eux, qu'ils semblaient refuser de reconnaître. Pour Léonidas, il était facile de se laisser aller aux charmes de la cour, de séduire et de conquérir, mais avec Selene, il sentait une résistance qu'il ne savait comment surmonter. Chaque interaction, même la plus simple, devenait un terrain de négociation, un test de volonté. Elle ne se laissait pas émouvoir par son statut, son rang, ni même par ses sourires en coin qui avaient souvent suffi à faire plier les autres. Elle ne lui rendait pas l'armure qu'il portait, et c'était là, dans cette absence de déférence, que résidait l'étrange fascination qu'il éprouvait à son égard.
Selene, elle, savait très bien ce qu'elle faisait. Elle n'était pas une courtisane, ni une noble qui se faisait une place parmi les puissants. Elle était une bibliothécaire, une observatrice silencieuse des comportements humains. Elle avait vu les hommes de pouvoir venir et repartir, pressés de se servir d'elle, sans jamais se soucier de ses pensées ou de ses désirs. Léonidas, en revanche, était différent. C'était un prince, certes, mais il était aussi un homme. Un homme qui, sous ses airs d'arrogance, portait un fardeau qu'elle n'était pas prête à ignorer. Il n'était pas le seul à être emprisonné dans ses responsabilités et ses attentes. Et c'était là la clé de leur relation : ils étaient, d'une certaine manière, tous les deux prisonniers de rôles qui leur avaient été attribués sans qu'ils aient eu le choix.
Une après-midi d'automne, alors que les feuilles des arbres commençaient à se parer de couleurs flamboyantes, le prince Léonidas et Selene se retrouvèrent, encore une fois, dans le jardin royal. C'était un de ces moments où le soleil déclinant jetait des ombres longues sur les pierres de la cour, et le parfum du jasmin semblait emporter l'air. Pourtant, aucun de deux ne s'attardait sur la beauté du moment. Ils se tenaient là, chacun perdu dans ses pensées, observant le ciel sans vraiment le voir.
« Vous ne comprenez pas, n'est-ce pas ? » dit-elle soudainement, brisant le silence.
Léonidas tourna son regard vers elle, un peu surpris par la soudaineté de ses paroles. Il fronça les sourcils, sa curiosité piquée. « Comprendre quoi ? » répondit-il, bien qu'il sache que la question allait au-delà de ce qu'il pouvait percevoir.
« Que vous êtes aussi prisonnier que moi. » Elle répondit calmement, sans détourner le regard.
Le prince ne répondit pas immédiatement. Il la fixait, cherchant à comprendre ce qu'elle venait de dire, et pourquoi ces mots le troublaient tant. Il n'était pas un homme à s'abandonner à l'introspection. Mais elle, elle avait ce don étrange de mettre à jour ce qu'il tentait de fuir. Son regard se posa sur lui, défiant. Elle savait qu'il n'aimait pas que l'on remette en question son rôle, son identité, mais elle le faisait, délibérément, comme un miroir qu'il n'avait pas envie de regarder. Il prit une inspiration lente, comme s'il cherchait à repousser l'irritation croissante qui montait en lui.
« Vous n'êtes qu'une femme de peu de mots et d'actions. » Il se lança, un sourire en coin, cherchant à briser la tension.
Mais elle ne se laissa pas déstabiliser. « Vous avez tort. » Elle le défia du regard, son visage impassible, sa voix d'une douceur glaciale. « C'est vous qui vous trompez, Léonidas. Vous vous croyez libre parce que vous êtes un prince. Mais en réalité, vous êtes aussi enfermé dans vos chaînes que n'importe quel autre être. Vous avez peut-être plus de pouvoir, mais ce pouvoir vous rend tout aussi captif. »
Le prince, piqué au vif, avança d'un pas vers elle. Son regard s'intensifia. « Vous osez me dire cela ? » sa voix était plus basse, plus dure, mais l'éclat de ses yeux trahissait une émotion confuse. Il ne savait s'il devait se défendre ou admettre qu'il avait, en quelque sorte, raison. Elle l'avait mis dans une position inconfortable, où il ne pouvait plus ignorer ses propres doutes.
« C'est la vérité, Léonidas. » Elle s'avança également, réduisant la distance entre eux, son regard toujours aussi franc, aussi implacable. « Ce que vous appelez liberté est une illusion. Vous êtes enchaîné à des attentes qui ne sont même pas les vôtres, et vous vous y conformez parce que vous ne savez rien d'autre que d'obéir. »
Il s'arrêta, n'ayant pas de réponse. Il sentait son cœur battre plus vite, non pas de colère, mais de quelque chose d'autre, quelque chose qu'il n'avait jamais vraiment exploré. Le silence s'installa, lourd et pesant entre eux. Ils étaient là, dans ce jardin abandonné, deux âmes opposées, mais liées par une vérité qu'aucun d'eux n'aurait voulu admettre.
« Peut-être que vous avez raison. » dit-il enfin, sa voix plus calme, presque hésitante.
Selene le regarda, un léger sourire traversant ses lèvres. « Vous n'avez pas besoin de le dire à haute voix, Léonidas. Vous avez juste besoin de le comprendre. » Elle se détourna lentement, prête à partir.
Mais avant de s'éloigner, elle se tourna une dernière fois vers lui. « Vous ne serez jamais vraiment libre tant que vous n'aurez pas compris que votre pouvoir n'est qu'une cage dorée. » Elle marqua une pause. « Et si vous vous voulez vous libérer, alors vous devrez d'abord briser les chaînes que vous vous êtes imposées à vous-même. »
Léonidas la regarda partir, son esprit en ébullition. Il n'avait jamais cru en ces idées, mais il ne pouvait plus les ignorer. Il avait toujours cru que la liberté était dans le contrôle, dans la maîtrise des autres, dans la conquête de ce qui était à portée de main. Mais Selene avait mis en lumière une vérité qu'il ne pouvait plus ignorer. Elle avait raison. Il était un prince, mais il était aussi un homme, un homme qui n'était pas si libre qu'il le pensait.
Et ce fut à cet instant précis que Léonidas comprit que sa vie venait de basculer. Il ne savait pas encore de quelle manière, mais il savait que ce qu'il pensait être sa réalité n'était plus aussi solide qu'il le croyait. Les chaines, il allait devoir les briser. Mais il n'avait aucune idée de la manière dont il allait y parvenir. Et c'était précisément cette incertitude qui l'attirait désormais, plus que tout autre chose.