Sa silhouette se fondait dans la nuit, massive et indomptable. Chaque muscle de son corps semblait tendu comme un arc, prêt à se détendre en un éclair. Son souffle était rauque, presque animal, tandis que ses doigts s'enfonçaient dans l'écorce d'un vieux chêne. Il luttait. Contre lui-même. Contre cette force primordiale qui hurlait en lui. Ses yeux, d'un noir insondable, scrutaient les ténèbres sans jamais ciller. Ils brillaient d'une lueur incandescente, une flamme d'instinct brut et de rage contenue.
Il était l'Alpha.
Les Loups Cendrés lui appartenaient, tout comme il leur appartenait. Un lien invisible, ancestral, qui battait sous sa peau, qui résonnait dans ses veines comme un tambour de guerre. Il les sentait, dispersés dans la forêt, certains tapies dans l'ombre, d'autres courant à travers la brume. Des présences sauvages et silencieuses, liées à lui par un fil invisible, un fil qui se distendait un peu plus chaque jour, miné par cette malédiction qui rongeait leur âme.
Il n'y avait plus d'équilibre.
Léo le sentait jusque dans sa chair. L'appel de la bête était plus fort, plus vorace. Chaque nuit, il devenait plus difficile de lui résister, plus difficile de se rappeler qu'il avait été autre chose qu'un monstre. Un temps, il y avait eu de l'espoir. Une lueur fragile, vite éteinte. Désormais, il n'y avait que cette certitude froide : il finirait comme les autres. Comme ceux qui avaient sombré avant lui, déchirant chair et sang jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien d'eux que l'écho d'un hurlement brisé.
Un craquement résonna dans la nuit.
Minime. Presque imperceptible.
Mais il le sentit immédiatement.
Ses sens, affûtés comme des lames, s'éveillèrent en un instant. Son corps entier se tendit, prêt à bondir, prêt à chasser. L'odeur lui parvint d'abord, douce et pourtant étrangère à cette terre sauvage. Rien de semblable à la sueur musquée de la meute ou à l'acidité d'un prédateur rôdant. Non, c'était une senteur plus subtile, une chaleur légère portée par la brise nocturne.
Humaine.
Son souffle se suspendit. Ses pupilles se rétrécirent.
Léo pivota lentement, comme une ombre se détachant du tronc noueux du chêne. Entre les arbres, une silhouette apparut, délicate et pourtant vibrante de cette étrange énergie qu'il ne parvenait pas à nommer. Ses cheveux bruns tombaient en vagues libres sur ses épaules, effleurant sa peau pâle sous la lueur lunaire. Ses yeux, clairs et perçants, le fixaient sans peur, remplis d'une curiosité aussi inexplicable que troublante.
Elle ne bougeait pas.
Elle le voyait, et pourtant elle ne fuyait pas.
Un frisson parcourut Léo, un mélange d'incompréhension et de fureur. Personne ne restait. Pas devant lui. Pas devant ce qu'il était.
Mais elle, elle ne détourna pas le regard.
Et pour la première fois depuis longtemps, quelque chose au fond de lui, quelque chose d'enfoui sous des années de rage et de solitude, vacilla.
Le silence entre eux s'étira, dense et vibrant. Seule la forêt bruissait encore, animée par le murmure du vent dans les branches et le cri lointain d'une chouette. Léo sentait chaque battement de son cœur résonner dans sa cage thoracique, lourd et implacable, comme un avertissement. Il n'aurait pas dû être là. Elle non plus.
Et pourtant, elle restait.
Clara.
Il ne connaissait pas son nom, mais son odeur était désormais gravée en lui. Une essence pure, indéfinissable, qui tranchait avec la rudesse du monde qu'il habitait. Léo pouvait presque entendre son souffle, léger et maîtrisé, alors qu'elle le détaillait comme une énigme à déchiffrer. Son regard, clair et scrutateur, fouillait le sien sans crainte apparente, cherchant à percer le mystère de sa présence.
Léo n'avait jamais aimé être observé.
Il était une créature de l'ombre, une entité que l'on devinait sans jamais chercher à comprendre. Mais cette humaine, frêle en apparence, tenait bon face à lui, avec une obstination qui le déstabilisait. Il aurait dû la chasser, l'effrayer, lui montrer qu'elle n'avait rien à faire ici.
Mais quelque chose en lui refusait de bouger.
Sa bête grondait sous sa peau, impatiente et nerveuse. Son instinct lui hurlait que cette femme représentait un danger. Pas parce qu'elle était une menace, non. Mais parce qu'elle était... autre chose. Quelque chose qu'il ne comprenait pas encore, et qu'il n'était pas certain de vouloir comprendre.
Il fit un pas vers elle. Un seul. Un test.
Clara ne recula pas.
Son immobilité n'avait rien de figé. Elle n'était pas paralysée par la peur, pas comme les autres. Il y avait une force tranquille en elle, une lueur étrange dans ses yeux, comme si elle avait toujours su qu'elle finirait par se retrouver face à lui.
Le vent se leva, soulevant quelques mèches de ses cheveux qui dansèrent un instant avant de retomber sur ses épaules. Léo sentit l'odeur du sous-bois se mêler à la sienne, un parfum d'écorce et de nuit, une fragrance qu'il n'oublierait plus.
Mais il n'avait pas le droit de la retenir.
Il le savait. Il connaissait la règle implicite que lui dictait son existence. Les humains et les loups n'avaient rien à faire ensemble. Encore moins un Alpha comme lui, rongé par une malédiction qui finirait par le consumer.
Il se força à détourner le regard, ses poings se contractant légèrement. Il devait partir avant que son instinct ne prenne le dessus. Avant que cette étrange tension qui pulsait entre eux ne devienne incontrôlable.
Léo s'apprêtait à se fondre dans la nuit, à disparaître comme une ombre parmi les arbres, quand la voix de Clara fendit le silence.
- Qui es-tu ?
Un frisson le parcourut, comme une caresse brûlante sur sa peau.
Elle aurait dû s'enfuir.
Elle aurait dû ne jamais poser cette question.
Mais elle l'avait fait.
Et c'était déjà trop tard.