Elle fronça légèrement les sourcils en examinant son travail. Le tableau prenait forme, mais il lui manquait ce quelque chose qui rendrait la scène vivante. Un soupir échappa à ses lèvres. Ses ambitions artistiques, bien qu'immenses, se heurtaient souvent à un sentiment d'insuffisance. Elle aimait profondément ce village, ces oliveraies qui s'étendaient à perte de vue, mais elle craignait de ne jamais pouvoir transcender cette vie simple pour atteindre quelque chose de plus grand.
« Tu sais que tu vas finir par avoir des toiles accrochées dans les musées, pas vrai ? »
La voix de Marina la tira de ses pensées. Sa meilleure amie arrivait, tenant deux verres de thé glacé dans les mains. Ses cheveux blonds brillaient sous les derniers rayons du soleil, et son sourire éclatant reflétait une assurance que Léna enviait parfois.
Léna la remercia d'un sourire timide et prit le verre qu'elle lui tendait. « Parfois, je me demande si je devrais juste me contenter de peindre pour moi-même. Qui voudrait vraiment acheter un tableau d'un coucher de soleil qu'ils peuvent voir gratuitement ici, tous les jours ? »
Marina roula des yeux et s'assit à côté d'elle. « Arrête un peu. Tes tableaux sont magnifiques, et tu le sais très bien. Le problème, c'est que tu restes coincée ici. Va à la ville, expose tes œuvres. Les gens adorent les trucs qui viennent de la "campagne authentique". »
Un sourire se dessina sur les lèvres de Léna. Marina avait cette façon unique de mêler encouragement et taquinerie. Mais avant qu'elle ne puisse répondre, Marina changea brusquement de ton.
« D'ailleurs, tu as entendu la dernière ? Il paraît qu'un type super riche veut racheter toutes les terres autour des oliveraies. »
Léna tourna brusquement la tête vers elle, son verre de thé glacé oubliée dans sa main. « Quoi ? C'est une blague ? »
« Pas du tout. Je l'ai entendu ce matin au marché. Apparemment, il veut tout transformer en... je sais pas trop quoi, un projet immense. Mais ce qui est sûr, c'est que ça n'a rien à voir avec nos oliviers. »
Un poids s'installa dans la poitrine de Léna. Ces terres représentaient bien plus qu'un paysage pittoresque. Elles étaient l'âme du village, une partie essentielle de leur identité. L'idée qu'un étranger puisse venir tout transformer lui semblait impensable.
« Les villageois sont déjà en train d'organiser une réunion pour en parler. Tu devrais venir. » Marina lui donna une légère tape sur l'épaule. « On a besoin de gens comme toi, qui comprennent ce que ces oliveraies signifient. »
Léna hocha la tête. Elle savait qu'elle n'avait pas vraiment le choix. Ce genre de décision ne concernait pas seulement les propriétaires des terres, mais tous ceux qui vivaient ici.
La réunion se tenait dans la salle communale, un petit bâtiment à l'entrée du village. Quand Léna arriva, l'endroit était déjà bondé. Les visages étaient graves, les voix basses. Le maire, un homme aux cheveux grisonnants et à la voix posée, se tenait devant la foule, essayant d'apaiser les esprits.
« Mes amis, je comprends vos inquiétudes », disait-il. « Mais rien n'est encore décidé. Nous devons attendre d'avoir plus d'informations avant de tirer des conclusions. »
Un murmure mécontent parcourut la foule. Léna reconnut plusieurs visages familiers, des gens qu'elle croisait tous les jours au marché ou dans les ruelles du village. Tous partageaient la même expression d'inquiétude.
Après la réunion, Marina retrouva Léna à l'extérieur. « Ça te rassure, toi, ce que le maire a dit ? Parce que moi, pas du tout. »
Léna secoua la tête. « Non, mais au moins, on sait qu'on n'est pas seuls à se battre. »
Marina lui tendit un papier qu'elle avait ramassé sur une table à l'intérieur. « Tiens, regarde ça. C'est une invitation pour un bal masqué. Apparemment, ils veulent lever des fonds pour protéger les oliveraies. »
Léna prit l'invitation et la lut attentivement. Le bal devait se tenir dans une semaine, dans une villa située en bordure du village. Elle était indécise. L'idée d'assister à un événement aussi formel ne l'enchantait pas, mais si cela pouvait aider la cause...
« Tu devrais y aller », insista Marina. « Sérieusement, ce serait une bonne occasion de montrer ton soutien. Et puis, qui sait ? Peut-être que tu rencontreras quelqu'un d'important, un acheteur pour tes tableaux, par exemple. »
Léna esquissa un sourire, mais son cœur restait lourd. Alors qu'elle rangeait l'invitation dans son sac, elle ne pouvait s'empêcher de se demander si ce bal suffirait à faire face à une menace aussi immense.
Le vrombissement sourd de l'hélicoptère couvrit le bruissement paisible des oliviers. Au-dessus du village, l'appareil fendait l'air comme une anomalie dans ce paysage figé par le temps. Les villageois, attirés par le bruit inhabituel, levèrent la tête, écarquillant les yeux à la vue de cet engin sophistiqué qui semblait presque insultant face à la simplicité de leur quotidien. L'hélicoptère tourna une dernière fois avant de se poser dans un champ à l'orée du village, soulevant un nuage de poussière et de brindilles.
Adrien Delacroix descendit avec l'aisance d'un homme habitué au luxe et au pouvoir. Sa silhouette élancée, vêtue d'un costume impeccablement taillé, tranchait avec le décor rustique et la tenue modeste des habitants rassemblés à distance prudente. Son regard balayait les environs avec une froide curiosité. Tout ici respirait une simplicité qu'il trouvait presque agaçante, bien qu'une petite voix en lui - qu'il préférait ignorer - y voyait une certaine beauté brute.
« Monsieur Delacroix, c'est un plaisir de vous accueillir ici. »
La voix de Diego Alvarez s'éleva derrière lui. Adrien se retourna et trouva un homme souriant, bien mis mais visiblement plus à l'aise dans cet environnement que lui. Diego tendit une main qu'Adrien serra brièvement, notant immédiatement dans ses yeux un éclat calculateur.
« Diego Alvarez, propriétaire de plusieurs terres ici et... disons, un défenseur du patrimoine local. »
Adrien esquissa un sourire poli, mais son esprit enregistrait déjà les informations : Alvarez était un adversaire potentiel. Dans ce genre de situation, les "défenseurs" étaient souvent des obstacles déguisés.
« Adrien Delacroix. Enchanté. »
Diego l'invita d'un geste à le suivre, et ensemble, ils quittèrent le champ pour se diriger vers le centre du village. Adrien, peu habitué aux chemins de terre et aux maisons blanchies à la chaux, marchait avec précaution, mais son esprit, lui, était en pleine analyse. Ce village, malgré son apparence modeste, représentait un potentiel immense pour son projet : un complexe de villégiature luxueux, entouré d'oliveraies centenaires, destiné à une clientèle internationale.
Pourtant, il sentait déjà la résistance. Les regards des villageois, fixés sur lui avec une méfiance palpable, n'étaient pas accueillants. Diego, quant à lui, jouait son rôle de guide affable à la perfection, mais Adrien n'était pas dupe. Ce genre d'amabilité cachait souvent des intérêts opposés.
Ils atteignirent une petite place où une fontaine usée trônait au centre. Autour, des étals modestes vendaient des fruits, des poteries et des petits objets artisanaux. Diego s'arrêta devant une galerie aux murs ornés de tableaux simples mais vibrants.
« Vous devriez jeter un œil ici, Adrien », dit-il avec un sourire. « C'est un excellent moyen de comprendre l'âme de ce village. »
Adrien, méfiant, haussa un sourcil mais entra tout de même. La galerie était modeste, presque primitive à ses yeux habitués aux salles d'exposition épurées et luxueuses des grandes villes. Pourtant, quelque chose attira immédiatement son attention : un tableau accroché au fond de la pièce.