Ils riaient parfois entre eux, comme si rien ne pouvait briser leur lien.
Mais pour moi, cette fraternité semblait inaccessible.
Je serrai les poings, me remémorant les paroles acerbes d'un jeune loup plus tôt dans la journée :
"Retourne nettoyer les tanières, Clara. Laisse les vrais loups s'occuper des combats."
Le pire, c'était que ces remarques étaient devenues une routine, un arrière-plan de ma vie quotidienne. Omega. Ce mot, ce statut, me collait à la peau comme une condamnation. Et pourtant, je ne voulais pas de leur pitié, ni de leur condescendance. Je voulais être comme ma mère, une guerrière, une légende de la meute dont le nom résonnait encore dans les récits autour des feux de camp. On disait qu'elle avait tenu tête à trois loups rivaux seule, protégeant le territoire de la meute avec une férocité sans égale. Elle n'était pas qu'une guerrière. Elle était une héroïne.
Je baissai les yeux vers mes mains, qui tremblaient légèrement, non pas de peur, mais de frustration. Pourquoi tout semblait-il hors de ma portée ? Pourquoi, à cause d'un statut que je n'avais pas choisi, devais-je me contenter d'obéir et de rester dans l'ombre ?
Le bruit d'un craquement derrière moi me sortit de mes pensées. En me retournant, je tombai nez à nez avec Gabriel, l'Alpha de notre meute. Sa stature imposante me fit instinctivement reculer d'un pas, bien que je sache qu'il n'était pas du genre à user de violence sans raison. Ses yeux gris clair, presque translucides, brillaient d'une intensité qui semblait voir au-delà de mes pensées.
"Tu n'as rien à faire ici," dit-il d'un ton neutre mais ferme, croisant les bras sur son torse.
Je fronçai les sourcils, refusant de détourner le regard.
"Et où devrais-je être, alors ? Dans un coin, à attendre qu'on m'autorise à exister ?" rétorquai-je, le menton légèrement relevé.
Un éclat d'agacement passa sur son visage, mais il resta impassible.
"Tu as un rôle à jouer, Clara. Reste à ta place."
"Ma place," répétai-je, presque avec mépris. "C'est ça que tu vois en moi ? Une Omega incapable de contribuer autrement qu'en obéissant ?"
Gabriel s'avança d'un pas, et pour une raison que je ne comprenais pas, mon cœur s'emballa. Il était si proche que je pouvais distinguer les cicatrices fines sur ses mains, des traces d'anciennes batailles.
"Je te donne un conseil," murmura-t-il, son regard se durcissant. "Ne cherche pas à aller là où tu ne devrais pas."
Il se retourna et disparut entre les arbres, me laissant seule avec une frustration renouvelée.
***
Plus tard dans la journée, alors que le crépuscule peignait le ciel de nuances d'orange et de rose, je rejoignis une patrouille. Loin des regards accusateurs des guerriers, c'était ma façon de prouver, silencieusement, que j'étais capable d'aider, même si ce n'était pas officiellement reconnu. La forêt était calme, presque trop.
À quelques pas devant moi, Elias, le guérisseur de la meute, marchait en silence, scrutant l'horizon. Sa présence était réconfortante, bien qu'il n'ait jamais réellement pris parti dans les tensions qui entouraient mon statut. Mais ce fut une voix basse, tendue, qui attira mon attention.
Gabriel et Elias s'étaient arrêtés un peu plus loin, à l'écart. Curieuse, je ralentis le pas, m'accroupissant derrière un buisson pour écouter.
"Ce n'est pas une solution durable, Gabriel," disait Elias d'un ton inquiet. "Cette malédiction... elle te consume. Tu ne pourras pas toujours la cacher."
Le mot "malédiction" fit naître un frisson le long de ma colonne vertébrale.
Gabriel se passa une main dans les cheveux, un geste rare chez lui, qui trahissait son anxiété.
"Je n'ai pas le choix, Elias. La meute ne doit jamais savoir. Si quelqu'un apprend que leur Alpha est vulnérable sous la pleine lune, c'est fini. Ils perdraient confiance en moi."
"Mais si tu continues ainsi, tu risques de perdre plus que leur confiance. C'est ta vie qui est en jeu, Gabriel."
Le silence qui suivit semblait plus lourd que l'air lui-même. Mon esprit bouillonnait de questions. Une malédiction ? Une vulnérabilité ? Ce n'était pas un simple problème personnel. C'était quelque chose qui pouvait affecter toute la meute.
Je fis un mouvement involontaire, et une branche craqua sous mon pied. Gabriel se tourna brusquement vers ma direction, ses yeux brillant d'un mélange de colère et de panique.
"Clara," gronda-t-il, sa voix tranchante comme une lame.
Je me redressai, essayant de garder un air innocent, bien que mon cœur battait à tout rompre.
"Je... je passais juste par là," balbutiai-je, bien consciente que mon excuse ne trompait personne.
Gabriel s'approcha de moi en quelques pas rapides, ses traits durs.
"Tu n'as rien entendu, n'est-ce pas ?" demanda-t-il, mais son ton ne laissait aucune place au doute.
Je déglutis, cherchant mes mots. "Non. Rien du tout."
"Bien," dit-il sèchement. "Parce que si tu te mêles de ce qui ne te regarde pas, Clara, les conséquences pourraient être... sévères."
Ses paroles, bien que prononcées calmement, avaient un poids qui me glaça. Mais au fond de moi, une flamme s'était allumée. Gabriel cachait quelque chose, quelque chose d'important, et je ne pouvais pas simplement l'ignorer.
Alors qu'il s'éloignait avec Elias, je me promis que je découvrirais la vérité, peu importe ce qu'il en coûterait.