Les aventures de Véda: Les lames dorées

"Tu devrais pas laisser ton visage à découvert, on pourrait te reconnaître.

-Et toi, tu devrais la fermer, répondis-je à mon compagnon.

Il haussa les épaules sans s'offusquer de ma brusquerie.

-C'est pour toi que je dis ça.

-Garde donc tes conseils pour ceux qui veulent bien les écouter.

-Tu es la seule à pouvoir m'entendre.

-Justement.

Je levais la tête en direction du ciel, profitant des minces rayons qui parvenaient à percer à travers le feuillage épais de la forêt de Kolping. C'était un endroit verdoyant et je pouvais sentir la vie qui s'agitait partout autour de nous. Le lieu était magnifique et reposant. Perchée sur un cheval acheté dans le dernier village, nous nous enfoncions de plus en plus profondément dans la forêt.

-Je suis fatigué, déclara mon ami.

-Je m'en fous.

-On a encore deux longs jours de marche avant d'atteindre Nat.

-C'est pas mon problème.

-C'est facile pour toi, s'écria-t-il en s'arrêtant. Tu as le cheval, tu fais aucun effort, moi je marche.

Je tirais sur les rênes de la bête pour la stopper à son tour.

-Letto, au cas où ce ne serait pas encore clair pour toi, tu es un esprit. Tu ne souffres ni du froid, ni de la faim, ni de la fatigue. Alors arrête de te plaindre et avance.

D'un coup dans les flans, l'animal se remit en marche. Le piaillement des oiseaux et le chant des insectes accompagnaient notre chemin, rendant la chevauché agréable.

-Tu devrais profiter de la vue au lieu de jacasser dans ton coin.

-Ce sont les pies qui jacassent, bougonna-t-il.

-La métaphore me parait appropriée, lui répondis-je

Il me fusilla de ses yeux ambrés.

-Mais c'est qu'elle fait de l'humour.

Je lui offris mon sourire le plus étincelant.

Notre route se poursuivit pendant de longues minutes dans un silence coupé par les bruits de la nature.

-Je ne vois pas pourquoi on nous a déconseillé de prendre cette route, intervint Letto, ses yeux se posant sur notre environnement.

Je lui donnais raison en haussant les épaules.

-C'est un raccourci conséquent, les marchants perdent beaucoup de temps en décidant de la contourner.

-Je suppose qu'ils ont leurs raisons, avançais-je.

Et la raison en question nous apparut rapidement après.

-Ne bouge surtout pas !

À quelques mètres de nous, une charrette était à l'arrêt. Deux individus habillés de noir sortaient la cargaison de l'engin pendant qu'un autre tenait en joue un enfant. Au sol, un cadavre gisait dans une marre de sang.

-Ça ressemble à un braquage.

-Quel éminent détective tu ferais.

Il ignora ma remarque, poursuivant:

-Qu'est-ce qu'on fait ?

-Que veux-tu que j'y fasse ?

-On pourrait aller l'aider, suggéra-t-il.

-Et puis quoi encore, j'ai pas que ça à faire.

Je fis donc poursuivre le chemin à ma bête, contournant autant que possible la magouille qui se déroulait sous mes yeux. C'était sans compter la chance légendaire qui m'accompagnait depuis ma naissance.

-Eh toi là !

Je ne pris pas la peine de m'arrêter, me disant que leur proie actuelle les occuperait assez bien, que nenni. Une flèche effleura le côté de mon visage, faisant ruer brusquement mon cheval et me projetant au sol.

-Bordel de merde, jurais-je en frottant mon arrière train douloureux.

Un second juron m'échappa quand je m'aperçus que mon cheval s'éloignait sur le chemin au triple galop, me laissant ici en compagnie des voleurs.

Une journée habituelle dans le monde fantastique de Véda.

-Regardez ce que nous avons là, fit une voix derrière mon dos.

Je me relevais en dépoussiérant ma cape noire.

-Elle était fraichement lavée d'hier les gars, vous abusez, me plaignais-je.

-On t'a jamais dit que c'était dangereux pour une jolie jeune fille de se balader toute seule en forêt, poursuivit la voix.

Je me tournais et tombais sur un regard maronné.

-Si on s'acharne souvent à me le répéter, lui répondis-je en jetant un coup d'oeil à Letto.

-Tu devrais écouter les conseils qu'on te donne, dit l'homme en m'agrippant le poignet.

Il était plus grand que moi d'une bonne tête, et je n'étais pas petite. Ses longs cheveux brus étaient regroupés en un chignon grotesque qui aurait frappé d'apoplexie la directrice de l'orphelinat dans lequel j'avais grandi. Sa poigne était forte allant de paire avec son corps musclé, très certainement entretenu par les activités illégales qu'il pratiquait avec ses copains.

-Simple question, ce sont les braquages à main armée qui vous donnent cette ligne ? Lui demandais-je en tâtant de ma main libre son pectoraux droit.

Son air surpris étira la cicatrice qui balafrait sa joue. Il bégaya quelques secondes avant que son visage ne reprennent une grimace dure, enlaidissant ses traits.

-Pourriez-vous me faire un sourire ? Lui demandais-je lui plus innocemment possible.

De surprise, sa prise sur mon poignet se desserra et je fis un bon en arrière pour me mettre hors de sa portée.

-Écoutez, entamais-je, je ne cherchais pas à perturber vos activités, nous pourrions reprendre chacun notre chemin, comme si nous ne nous étions jamais...

L'homme se jeta si rapidement sur moi que je n'eus pas le temps d'esquiver. Je me retrouvais à rouler au sol avec lui et je me raidissais en entendant un déchirement. Après quelques cabrioles, l'homme s'arrêta enfin au dessus de moi, sa main droite tenant mes poignets en l'air et sa main gauche sur ma taille, m'empêchant de bouger.

-Je crois qu'on va bien s'amuser toi et moi, murmura-t-il à mon oreille.

-Vous avez déchiré ma cape, lui répondis-je froidement.

-Ne t'en fait pas, dans quelques minutes, tu n'en auras plus besoin.

-Vous avez déchiré ma cape, me contentais-je de répéter.

Tout autour de nous, la forêt était devenue silencieuse, les animaux s'étaient cachés, effrayés par ce qu'ils sentaient. L'air se refroidissait à vu d'oeil et un frisson parcourut l'homme.

-Evan, appela l'un des hommes, il se passe un truc pas net ici, on a tout ce qu'il nous faut, allons nous en.

Le dénommé Evan avait quant à lui les yeux rivés sur moi, une lueur étrange dans le regard.

-C'est toi qui fait ça ?

L'air était de plus en plus oppressant et même le soleil se cacha derrière les nuages.

-Tu...

-Qu'est-ce qu'il se passe ? Interrogea une autre voix.

-...as...

-Putain, regarde ça !

-...déchiré...

-Tire-lui dessus !

-...ma cape ! Lui hurlais-je.

-Attention, Evan !

Il se décala de justesse, évitant de se faire fendre le crâne par le marchand. Alors que je me relevais pour observer l'étendue des dégâts, les trois hommes étaient aux prises avec la victime.

-Je croyais que tu l'avais tué ! Hurla le fameux Evan.

-On est pas censé se relever d'un carreau dans la tête ! lui répondit un autre sur le même ton.

-Fait gaffe, le morveux se tire !

Délaissant le spectacle des yeux, je dénouais le lacet autour de mon cou et retirai le vêtement. Le tissu était pourfendu à plusieurs endroits, me laissant entre rage et tristesse. Mes dernières économies étaient passées dans l'étoffe et elle était foutue.

-Tu as vu ce que tu as fait ? Demandais-je rageusement eu vaurien en me retournant.

Ce dernier était toujours aux prises avec feu le marchand et le plantait dans sa dague.

-Tu ne devrais pas te mettre dans des états pareils pour du textile, me dit Letto.

-Ce n'était pas juste du tissu ! Lui criais-je.

-C'est exactement ce que c'était.

-Tu n'y comprends rien, tu es comme tous les hommes. Qu'est-ce que ça te ferait toi si je brisais ton épée ?

-Ce n'est pas comparable.

-Ce n'est qu'un morceau de métal, dis-je de la même voix ridicule que lui.

-Tu fais l'enfant.

-Et toi le sot.

-Mais avec qui est-ce qu'elle parle ?

Nous nous retournâmes tous les deux vers les voleurs. La scène semblait si burlesque et irréel que même un mauvais troubadour n'aurait pas pris la peine de la raconter. Un des hommes affrontait le corps sans tête et manchot du marchand de sa hache tandis qu'un autre courait afin d'échapper à son poursuivant: le bras manquant. Evan, lui, me fixait du regard.

-Je sais qui tu es.

-Vraiment ? Lui répondis-je.

J'en doutais moi-même, alors pour que lui le sache.

-J'ai vu des affiches de toi. Tu es la mage qu'ils recherchent partout dans la région.

Je haussais les épaules, serrant de plus en plus fort le tissu abimé dans mes mains.

-Mais tu n'es pas une simple mage, tu es une...

-Je peux savoir ce qui se passe ici !

La voix me fit sursauter, si bien que mon attention se relâcha. Plusieurs choses se produisent simultanément; l'air se réchauffa brusquement, la pression diminua, la forêt sembla reprendre vie, et les morceaux du cadavre arrêtèrent de bouger.

En me tournant vers le nouveau venu, je me dis que j'allais avoir des ennuis. Ce n'était pas une chose rare, au contraire, pour moi c'était plutôt monnaie courante, mais j'appréciais m'en passer. Ma concentration focalisée sur autre chose que sur le danger le plus immédiat, je fis une erreur qui bouleversa non seulement le cours de mon existence mais également celui du monde. Alors que je recevais une poudre étrange en pleine figure, je me dis que j'aurais très certainement dû écouter les villageois et ne pas passer par ce chemin. À ma prochaine inspiration, j'ingérais des centaines de particules d'une substance qui, je savais, allait me plonger dans un profond sommeil. Des bras me retinrent avant que je ne m'effondre au sol, et la dernière chose que j'entendis avant de sombrer dans le noir fut les mots de Letto.

-Je t'avais dit de ne pas laisser ton visage découvert.