Chez les Parkson, la famille dans laquelle elle a grandi, les départs ressemblent davantage à des événements mondains qu'à de véritables adieux. Sourires calculés. Gestes mesurés. Affection conditionnelle.
Ici... c'est différent.
- Tu nous écris dès que tu atterris, d'accord ?
Béatrice la serre contre elle. Fort.
Sa demi-sœur.
Celle avec qui elle a grandi, de ses six ans à ses dix-huit ans. Même maison. Même quotidien. Mais pas la même place dans son cœur.
Béatrice a toujours été son point d'ancrage. La seule constante dans un univers où tout le reste semblait négociable.
Brittany acquiesce, incapable de répondre sans que sa voix ne trahisse l'émotion qui l'envahit.
Colin, le mari de Béatrice, lui adresse ce sourire calme et bienveillant qui le caractérise. Il ne dit rien. Il n'en a pas besoin.
Diego, leur fils métissé aux traits latinos de sa maman et aux yeux bleus de son papa, tire sur la manche de son manteau.
- Tìa, prends des photos de Londres ! Plein !
Elle lui ébouriffe les cheveux avec un sourire.
- Promis.
Son regard glisse alors sur les foulards.
Tous identiques.
Tous tricotés par elle.
Tous portés aujourd'hui sans qu'elle l'ait demandé.
Elle n'a jamais eu une famille qui porte quelque chose d'elle avant de renouer avec sa demi-soeur il y a de cela quelques mois...
Brie, la grand-mère de Colin, s'avance et l'enlace longuement, sans un mot. Une étreinte solide. Rassurante.
- On s'appelle dès que je rentre en Angleterre après le Nouvel An. Café obligatoire.
La famille de Colin est originaire du Royaume-Uni du côté maternel. Ils ont même un titre de noblesse...
Brittany sourit, les yeux brillants.
Puis Annabelle s'approche.
La mère de Colin.
Elle prend les mains de Brittany dans les siennes avec une douceur ferme, presque solennelle.
- Quand tu seras en Angleterre, si jamais tu as le moindre ennui, n'hésite pas à contacter mon autre fils à la firme de Londres.
Une carte de visite est glissée dans sa paume.
- Jacob.
Brittany baisse les yeux.
Cleaver & Ass.
Jacob Cleaver
Avocat-conseil - Droit financier
Ses doigts se referment aussitôt sur la carte, qu'elle glisse dans la poche intérieure de son manteau, le cœur battant.
- Tu fais partie de la famille maintenant, insiste Annabelle.
Ces mots lui coupent le souffle.
Quand vient le moment de passer la sécurité, ils l'accompagnent jusqu'au cordon. Aucun ne semble vouloir être le premier à s'arrêter.
Elle se retourne une dernière fois.
Ils sont tous là.
La famille qu'elle n'était pas censée avoir...
et qui l'a pourtant choisie.
Elle franchit le contrôle.
Dans la zone internationale, Brittany s'assoit près des grandes baies vitrées. Les avions attendent sur le tarmac. Londres l'appelle.
C'est là qu'elle le ressent.
Un frisson.
Une tension soudaine.
Comme si quelqu'un venait d'entrer dans son orbite.
Elle tourne la tête.
Et elle le voit.
Très grand. Cheveux bruns, yeux bleus. Épaules larges.
Immobile à quelques mètres.
Son regard la frappe de plein fouet. Intense. Profond. Trop lucide.
Elle a l'impression qu'il la voit... vraiment.
Son cœur accélère. Il dégage une prestance presque irréelle. Le genre d'homme qui semble appartenir à un autre monde.
Quand leurs regards se croisent pleinement, ses lèvres s'entrouvrent légèrement.
Comme si elle lui coupait le souffle.
Cette pensée la trouble assez pour qu'elle détourne les yeux, les joues rosies.
Son regard est trop nu. Trop intime.
L'annonce d'embarquement retentit.
Brittany se lève, attrape sa valise et, avant de partir, ose un dernier regard dans sa direction.
Il est toujours là.
Elle se détourne et franchit les portes.
Quelque chose vient de commencer.
*Jacob*
La première bouffée d'air américain frappe Jake dès qu'il franchit les portes automatiques.
Il coupe le mode avion de son téléphone sans lever immédiatement les yeux.
Une présence capte alors son attention d'Alpha Divin aux sens très aiguisés.
Il regarde.
Et s'immobilise.
Une femme séduisante aux cheveux blond caramel légèrement bouclé.
Elle est assise près des baies vitrées. Manteau crème. Silhouette élancée. De grands yeux bleus se posent sur lui - et le choc est immédiat.
L'air quitte ses poumons.
Une reconnaissance instinctive. Primitive. S'éveille en lui.
La bête qui vit au fond de ses entrailles se sent interpellée par quelque chose de familier.
Lorsqu'elle soutient son regard, l'attraction vibre entre eux.
Il l'intimide.
Ses pupilles se rétrécissent. Il ne devrait pas, mais cela lui plait.
Comme si elle avait senti ce noir désir en lui, elle détourne les yeux, rougissante.
Jake fronce légèrement les sourcils.
Il a déjà vu cette femme. Il en est certain. Mais où?
Et alors, sans qu'il le veuille - son don s'active.
Sa perception glisse. Les contours du monde s'estompent.
Un fil apparait.
Doré.
Fin.
Vibrant.
Fragile.
Un lien en devenir.
Pas un pacte ancien.
Pas une dette.
Quelque chose de nouveau.
Il fait un pas vers elle.
Mais à cet instant précis, elle se lève. L'annonce de son vol résonne.
Londres. Il esquisse un sourire en coin.
Intéressant.
Elle lui jette un dernier regard - troublé, presque fuyant - puis disparait derrière les portes d'embarquement.
Le fil se dissout lentement.
- Jake !
Il se retourne.
Sa famille l'attend dans la zone d'accueil de l'autre côté de la baie vitrée. Il s'empresse d'effectuer les formalités de douanes, usant de son passeport américain, puis de franchir le cordon de sécurité.
Sa sœur cadette, Lana, lui saute au cou. Son neveu Diego parle déjà trop vite. Béatrice sourit, visiblement soulagée.
Jake embrasse tout le monde, rit, répond machinalement.
Mais une partie de lui est restée de l'autre côté des vitres, avec cette belle inconnue.
Le trajet jusqu'à la résidence se déroule dans une agitation familière. Les conversations se croisent. Diego raconte tout à la fois. Jake écoute, mais ses pensées reviennent sans cesse à cette mystérieuse inconnue.
À la maison, le majordome l'accompagne jusqu'à sa chambre, à l'aile du manoir réservée à la famille.
- Nous avons préparé vos effets, monsieur.
Jake le remercie distraitement, pénétrant dans la chambre à sa suite.
Sur le lit, parfaitement centré, repose un paquet cadeau.
Son nom est inscrit dessus, en lettres attachées élégantes.
Il s'approche, intrigué.
- C'est un présent de la sœur de madame, précise le domestique derrière lui.
Jake se fige.
La sœur de Béatrice.
Tout s'assemble.
Le manteau crème.
La séduisante blonde aux yeux bleus.
L'aéroport.
- Miss Parkson est partie ce matin pour Londres. Elle était désolée de ne pouvoir vous remettre ce présent en personne.
Jake reste immobile, le regard fixé sur l'emballage.
Le mariage de son frère.
C'est là qu'il l'avait vue.
La réalisation se fait.
La femme de l'aéroport... est la sœur de sa belle-sœur.
Il défait lentement le papier.
À l'intérieur s'y trouve un foulard en laine, bleu marin et bleu pâle, au motif discret de losanges.
Très chic.
Très simple.
Sa main caresse l'étoffe.
Le bleu est sa couleur favorite.
Il expire lentement.
Alors ce lien invisible qu'il sentait entre eux n'était pas un hasard. Il avait simplement commencé... avant lui. Et ce fil conducteur tissé dans la grande trame de la vie porte un nom.
La famille.
Comme un interdit.