Pendant qu'il vivait sa romance au Manoir, je signais mes papiers de rejet sur un lit d'hôpital, seule, agonisante, le corps brûlé par le poison.
Il pensait se débarrasser d'une Oméga faible et inutile, une honte pour sa Meute.
Ce qu'il ignorait, c'est que ce « traitement » ne me tuait pas ; il détruisait les barrières chimiques qui bridaient ma louve depuis l'enfance.
Six mois plus tard, lorsqu'il découvre enfin l'horrible vérité dans les journaux intimes du médecin et me traque jusqu'au Sommet des Alphas, il est méconnaissable.
Dévasté, l'Alpha arrogant tombe à genoux devant tout le monde, pleurant et suppliant pour que je revienne, prêt à devenir mon esclave pour expier ses fautes.
Mais il est trop tard.
Je ne suis plus la petite Chloé qui servait le café en tremblant.
Je le regarde avec des yeux de glace, mon aura de Louve Blanche écrasant la sienne sans effort.
« Relève-toi, Antoine, » dis-je d'une voix dénuée de toute émotion.
« La fille qui t'aimait est morte au fond de ce ravin. Je suis Athéna, et tu n'es plus rien pour moi. »
Chapitre 1
Chloé POV:
Je suis réfugiée dans le coin le plus sombre de la bibliothèque de la Meute, là où la poussière en suspension danse dans les rares rayons de lumière qui osent pénétrer la pénombre.
Entre mes doigts tremblants, je tiens une vieille photographie aux bords cornés. C'est la seule chose qui me reste de mes parents, et ironiquement, c'est aussi le dernier lien tangible qui m'unit encore à lui.
Sur l'image, un garçon et une fille de cinq ans se tiennent la main, souriant avec une innocence déchirante à l'objectif. Antoine et moi. Avant que le poids de la hiérarchie ne nous écrase. Avant qu'il ne devienne l'Alpha Suprême et moi... l'Omega invisible.
Je passe mon pouce sur son visage enfantin, caressant le fantôme de celui qu'il était.
"Adieu," murmuré-je.
Ma voix est calme, presque étrangère à mes propres oreilles. Ce n'est plus le sanglot d'une fille brisée, c'est le constat froid d'une femme qui a enfin pris sa décision. Je ne pleure plus. J'ai épuisé mon stock de larmes il y a des années.
Je range la photo dans ma poche, la pressant une dernière fois contre ma poitrine.
L'air du dortoir des Omegas est vicié, lourd d'humidité et de désespoir rance. Nous sommes loin du luxe du Manoir Alpha, relégués aux frontières du territoire, là où le vent siffle plus fort et où le froid pénètre jusqu'aux os.
Soudain, une odeur envahit l'espace, violente et intrusive.
C'est un mélange de roses trop sucrées, écœurantes, et... de lui. De la forêt après la pluie, de la terre riche et puissante. L'odeur d'Antoine.
Mon estomac se contracte violemment, tiraillé entre l'instinct de soumission et la répulsion.
Camille entre dans la pièce, fredonnant un air joyeux qui sonne comme une insulte ici. Elle porte une nouvelle robe en soie, d'un rouge agressif qui jure comme une tache de sang avec la grisaille de nos murs.
"Oh, Chloé ! Tu es là."
Elle s'arrête, pivotant sur ses talons hauts. L'odeur d'Antoine sur elle est si forte qu'elle me donne la nausée. C'est une marque territoriale invisible, mais brûlante. Elle veut que je sache. Elle veut que tout le monde sache qu'elle a passé la nuit avec l'Alpha.
"Je suis toujours là, Camille," dis-je sans lever les yeux de mon livre, refusant de lui donner la satisfaction de mon regard.
"Tu fais encore cette tête d'enterrement ?"
Elle s'approche, son sourire est un masque de porcelaine prêt à se fissurer pour révéler les crocs.
"Je pensais t'aider pour le cadeau d'anniversaire d'Antoine. Je sais que tu n'as pas... les moyens. Je peux choisir quelque chose en ton nom ? L'Alpha ne remarquera même pas la différence."
Je serre les poings sous la table jusqu'à ce que mes articulations blanchissent. Mes ongles s'enfoncent dans ma paume, la douleur m'ancrant dans la réalité.
Hier soir, lors du banquet de la Meute, Antoine lui a offert un collier de diamants devant tout le monde. Moi, sa supposée compagne d'enfance, je servais les plats la tête basse.
"Ce n'est pas nécessaire," réponds-je, la gorge serrée par un étau invisible.
Le Bêta d'Antoine, un homme aux épaules larges et au regard fuyant, passe dans le couloir. Il jette un coup d'œil à l'intérieur, voit Camille, puis moi. Son regard glisse sur moi comme si j'étais un meuble, une simple tache dans le décor.
Il ne salue même pas. Il continue sa route, m'effaçant de son existence.
Camille rit doucement, un son cristallin et cruel.
"Tu vois ? Même le Bêta sait où est ta place. Les Omegas devraient se contenter de servir, Chloé. Ne vise pas ce qui ne t'appartient pas. L'Alpha se lasserait de tes jérémiades."
Une impulsion violente me traverse, un désir sauvage de hurler, mais je la réprime. Je ne peux pas craquer maintenant. Pas quand je suis si près du but.
Je me lève, contournant Camille sans la toucher, retenant ma respiration pour ne pas inhaler leur mélange toxique. Son parfum m'étouffe.
"Tu as raison," dis-je d'une voix blanche, vide de toute émotion. "Je ne devrais pas viser ce qui ne m'appartient pas."
Je sors du dortoir et marche vers mon petit bureau, un placard à balais réaménagé qui me sert de sanctuaire.
Je ferme la porte à clé. Mon cœur bat la chamade, non pas d'amour, mais de peur et d'adrénaline.
J'ouvre le tiroir du bas. Elle est là.
Le formulaire de demande de sortie de la Meute.
Dans notre monde, quitter sa Meute est synonyme de mort sociale, ou pire, de devenir un Rogue, un loup solitaire sans protection traqué comme une bête. Mais rester ici, c'est mourir à petit feu, c'est laisser mon âme s'éteindre jour après jour.
Je prends un stylo. Ma main tremble légèrement, luttant contre des années de conditionnement, puis se raffermit.
Je repense à la promesse d'Antoine, il y a douze ans. *Je te protégerai toujours, Chloé.*
Mensonge.
Je repense à ses mots la semaine dernière. *Tu ne sers à rien ici.*
Vérité.
Assez. Ton histoire ne doit plus être une note de bas de page dans la leur.
Je pose la plume sur le papier rugueux.
Dans la case "Nom du requérant", j'écris d'un trait ferme et définitif : Chloé Lacroix.