Ils descendaient les marches d'escaliers, toujours dans une démarche très gracieuse, contrôlée et légère. Je les observais, silencieusement, mon plateau de petits fours dans la main droite. Tout ce beau petit monde essayait de s'approcher d'eux, vouant honneur et immense privilège de pouvoir les toucher, ne serait-ce qu'un bout de peau.
Je détaillai la reine Eléonore, qu'elle était splendide, comme à son habitude. Ses cheveux gris étaient remontés en un simple chignon, une broche de couleur violette les maintenant. Elle portait une robe assez longue, parsemée de quelques détails en dentelles, de la même couleur que sa broche. Elle était simple, mais très jolie. Elle était toujours très rayonnante et malgré le fait qu'elle atteigne bientôt ses soixante ans, personne n'oserait mentir sur sa beauté.
Mais nous pouvions dire que le peuple présent ce soir, les femmes en particulier, portaient davantage leur regard sur cet homme. Fils unique d'Eléonore, âgé de seulement vingt-huit ans, il était déjà reconnu dans le monde entier pour ses affaires plus que concluantes : Alexeï, l'homme qu'on dit prochainement le roi de Grèce. Le roi de notre cher pays.
Des cheveux noirs coupés au centimètre près, comme sa barbe. Des yeux foncés, d'un marron glacé. Un visage porteur de traits virils, masculins, se mêlant toujours à cette dangerosité et cette autorité. Au premier abord, il paraissait froid, distant, autoritaire et surtout puissant. Oui, il l'était par son titre princier, par ses nombreuses affaires concluantes, mais également par l'aura qu'il dégageait. Grand, musclé, bien taillé dans ce costume bleu marine, cet homme savait pertinemment le charme dont il avait été doté et il n'hésitait guère à le montrer. Il était beau et même moi je ne pouvais le nier. Mais ce qui me repoussait le plus, était son caractère. C'était un homme exécrable.
Aujourd'hui, cela faisait deux ans que je travaillais à son service. Enfin, il ne le savait pas directement à vrai dire. Comment pourrait-il le savoir, alors qu'il n'est jamais présent dans ce palais ? Sa mère, contrairement à ce que l'on pourrait croire, porte une grande attention à ses employés. Elle n'a jamais hésité à venir nous parler et ô grand jamais, elle n'a osé nous manquer de respect ou quoi que ce soit. Nous nous sommes déjà parlées plusieurs fois et c'est vrai que j'avais été grandement étonnée de sa douceur. Elle était naturelle, affectueuse, et surtout très charitable.
Alors que son fils était, comment dire... Plutôt sauvage ? Têtu, colérique, froid, agaçant et j'en passe. Une de mes collègues, du nom de Léna, avait déjà eu une confrontation avec lui. Cela s'était très mal passé et je savais que cela avait continué de se reproduire avec d'autres individus, en se concluant toujours avec la même issue. Il ne fallait pas l'approcher. Je l'avais rapidement compris. Et son retour dans le palais familial n'allait pas améliorer les choses.
La fête s'était enfin terminée à mon plus grand bonheur. Cela avait été extrêmement long ; de plus, entendre toutes ces conversations dédiées au fameux prince, m'avait exténuée. Je finis de ranger les derniers couverts, pour tout reposer dans la cuisine.
- Pose cela là, Athéna. Tu peux aller te coucher. Tu en as déjà fait assez pour aujourd'hui, intervint Julia, en posant une main sur mon épaule.
- Merci beaucoup. Toi aussi ne tarde pas à aller te coucher, tu en as besoin, lui chuchotais-je, avant de l'embrasser sur la joue et de partir.
Je me dirigeai vers ma chambre, assez fatiguée de cette fin de soirée. Épuisée et exténuée, je commençais déjà à me perdre dans ces nombreux couloirs. C'était vrai que j'avais toujours eu du mal à me retrouver dans ce palais... Et avec mon sens d'orientation plutôt désespéré, c'était donc tout naturellement que je me retrouvais dans un nouveau couloir. Que je ne reconnaissais pas, bien entendu. Je poussai un petit râle, avant de continuer à chercher le bon chemin.
Je continuais donc d'avancer, mollement, avant d'entendre soudainement quelques bruits. Ressemblant à des cris, d'ailleurs. Je froncai les sourcils, puis décidai de m'avancer à pas de loup vers ceux-ci. J'arrivai finalement devant une porte, et je compris aussitôt que cela était le bureau de la reine Eléonore.
- Est-ce une blague ! Voyons mère ! Pourquoi devrais-je faire cela ! s'exclama une voix dure et grave, que je reconnus sans peine comme étant celle du prince Alexeï.
- Je ne rigole pas sur ce sujet, Alexeï. Tu es l'héritier de ce trône et tu l'auras, sois-en certain. Mais je souhaite, avant, que tu aies une situation stable et non frivole. Je veux que tu te trouves une fiancée, une petite amie, une femme qui saura t'épauler, déclara une voix beaucoup plus douce, que j'identifiai comme celle de la reine.
- Mais enfin ! Il m'est impossible de trouver l'amour du jour au lendemain ! rugit le bourru, visiblement colérique.
- Cesse de faire le capricieux, Alexeï ! Le royaume ne te reviendra qu'à ce moment précis, alors cesse tes relations avec ces stupides amantes, et trouve-toi la perle rare ! reprit sa mère, avant que je n'entende des pas se diriger vers moi.
Immédiatement je me reculai, mais voulant le faire trop vite, ma tête se cogna contre un mur. Je lâchai un gémissement, avant de sursauter quand j'eus entendu un autre bruit. Je me retournai, le cœur s'accélérant quand mes yeux croisèrent ce tableau. Un tableau qui avait été commandé il y a quelques mois. Un tableau qui coûtait extrêmement cher à ce que j'avais entendu. Et un tableau surtout, qui venait de se casser en mille morceaux étant donné qu'il avait été réalisé en verre.
Bien joué, Athéna.
Immédiatement mon corps se raidit. Je restais là, sans bouger, me maudissant de l'intérieur. Hélas, des pas se dirigèrent dans ma direction. En une fraction de secondes, deux silhouettes apparurent. Et quand j'eus croisé ses yeux presque noirs, si glacials et terrifiants, je sentis un long frisson glisser le long de ma colonne vertébrale.
- C'est vous qui avez fait ça ?! me cracha-t-il, alors que je me tournais nerveusement les pouces.
- Hum... Techniquement je pourrais dire que c'est plutôt la cause du centre de gravité qui m'a légèrement déporté... Ma vitesse étant trop puissante, nous pouvons dire que j'ai un tout petit peu glissé et...
- Ce tableau avait une grande importance ! C'était un tableau réalisé par un grand peintre chinois, coûtant plus de neuf mille euros ! me coupa-t-il, en commençant à m'aboyer dessus comme un chien.
Neuf mille euros... Ah oui. Le prix fait mal.
- Je suis terriblement désolée, mais...
- Eh bien sûr vous n'avez pas les moyens de payer ! Mademoiselle se permet de casser des choses, sans avoir les moyens de les rembourser ! me coupa encore monsieur le prince, tandis que je me raclais la gorge.
Aussi féroce qu'un lion, dites-moi.
- Désolée... dis-je avec sincérité, ne sachant que dire d'autre.
Je ne pouvais pas lui dire que j'allais lui repayer ce tableau. Non, je n'avais pas les moyens et surtout l'envie de lui donner presque tout mon argent pour cela. Si j'avais économisé, ce n'était surtout pas pour un tableau avec des écritures étranges.
Un silence pesant s'installa dans le couloir. Lui et moi nous regardions dans les yeux, et ce regard sombre commençait à me mettre mal à l'aise. Ses traits s'étaient tirés et sa bouche s'était fermée, laissant place à une colère noire qui se reflétait bien dans ses yeux.
Soudainement, derrière le corps imposant du prince, la reine Eléonore se décala. Elle constata d'ailleurs les dégâts en s'approchant jusqu'à moi. Elle m'offrit un tendre sourire, en posant une main sur mon épaule.
- Ce n'est rien, ne vous en faites pas. Quelqu'un nettoiera, me dit-elle d'une voix calme, résonnant comme une mélodie à mes oreilles.
Un ange qui a enfanté un démon.
- Merci beaucoup... dis-je d'une toute petite voix, en me retournant.