« Elle ! » a-t-il hurlé, pointant un doigt tremblant vers Camille. « Sauvez Camille d'abord. »
Il m'a regardée couler, choisissant de sauver la femme qu'il adorait tout en me laissant mourir. L'homme qui m'avait autrefois sauvée de la rue venait de me condamner à une tombe aquatique sans un second regard.
Mais j'ai survécu. Et tandis que je récupérais, seule dans un hôpital, j'ai finalisé mon plan. Je donnerais le tissu unique de mon cœur pour sauver sa précieuse Camille. En échange, je simulerais ma propre mort et achèterais enfin ma liberté.
Chapitre 1
Point de vue d'Elara :
La décision de donner mon tissu cardiaque et de simuler ma propre mort a été la plus facile que j'aie jamais prise, car c'était la seule qui m'appartenait vraiment.
« Vous êtes sûre de vous, Mademoiselle Valois ? » m'a demandé le chirurgien, le Dr Renaud, ses yeux remplis d'un mélange de curiosité clinique et de pitié. Il a ajusté ses lunettes, regardant du formulaire de consentement à mon visage, comme s'il cherchait la moindre lueur de doute.
J'ai hoché la tête, le mouvement était léger mais ferme. « J'en suis sûre. » Ma voix n'était qu'un murmure rauque dans le silence stérile de son bureau.
« C'est une procédure hautement expérimentale. Nous allons prélever une partie importante de votre tissu cardiaque unique. Ses propriétés régénératrices sont stupéfiantes, mais le processus lui-même... comporte des risques extrêmes. »
« Je comprends », ai-je dit. C'était plus qu'un risque ; c'était mon plan d'évasion.
« Et tout ça », a-t-il dit en désignant vaguement le dossier sur son bureau, celui avec le nom de Camille Leroy estampillé en gras, « pour elle ? »
Je n'avais pas besoin de voir le dossier. Je connaissais son nom. Il était gravé sur chaque surface de ma vie, un fantôme hantant chaque pièce de l'appartement de luxe que j'étais censée appeler mon foyer. Camille Leroy. La femme qu'Alexandre Beaumont aimait vraiment.
« Elle est très importante pour lui », ai-je dit, les mots ayant un goût de cendre.
Dehors, par la fenêtre, une infirmière riait avec un patient en fauteuil roulant. Ils avaient l'air heureux. Une sensation que je ne pouvais nommer, quelque chose de vif et de froid, m'a traversée. Un instant, j'ai imaginé ce que ce serait d'être l'un d'eux. Normale. Aimée.
Un rire amer m'a échappé avant que je puisse le retenir. Un substitut. Voilà ce que j'étais. Le bouche-trou d'un fantôme, et maintenant, le sacrifice vivant pour son retour.
« L'anomalie de mon cœur », ai-je dit, la voix plate, « la chose qui est censée me rendre "fragile" et "cassée"... elle peut la sauver, n'est-ce pas ? Elle peut se régénérer. »
Le Dr Renaud s'est penché en avant, son masque professionnel se fissurant. « Mademoiselle Valois, votre condition n'est pas un défaut. C'est un miracle médical. Votre tissu cardiaque a des capacités régénératrices dont nous n'avons fait que rêver. Le qualifier de fragile est... une ironie incroyable. »
L'ironie ne m'avait pas échappé. Je suis née un mardi pluvieux dans un hôpital public du 19ème arrondissement. Les médecins n'avaient eu qu'à jeter un œil à l'étrange et rapide battement sur mon électrocardiogramme pour déclarer que mon cœur était une bombe à retardement.
Mes parents, jeunes et terrifiés, n'ont vu qu'un produit défectueux. Une vie de factures médicales et de condoléances chuchotées. Ils m'ont laissée à l'hôpital, un petit paquet avec un cœur défaillant et un avenir vierge. Ils ne m'ont même pas donné de nom. Les infirmières m'ont appelée Elara.
Grandir dans les foyers de l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE) à Paris, c'était apprendre à être invisible. J'étais la « fille malade », celle qui ne pouvait pas jouer trop fort, celle que les autres enfants bousculaient parce qu'ils savaient que je ne riposterais pas. « Ne la touche pas, tu vas attraper son cœur brisé », se moquaient-ils dans la cour de récréation.
La directrice de mon dernier foyer, Mme Girard, me méprisait. Elle voyait mon silence comme de la défiance, mes penchants artistiques comme une perte de place. « Arrête tes gribouillages, Elara », ricanait-elle en m'arrachant mon carnet de croquis. « Personne ne va adopter une poupée cassée. »
Alors j'ai appris à me débrouiller seule. Je faisais des petits boulots après l'école – la plonge, ranger des livres – économisant chaque centime. Mon art était ma seule évasion, un monde de couleurs et de formes où je n'étais pas fragile, où je n'étais pas une erreur.
La nuit où j'ai rencontré Alexandre Beaumont, je dessinais dans une petite ruelle sombre du Marais, sous la pluie, essayant de capturer la façon dont les néons se reflétaient sur le pavé mouillé. J'avais dix-neuf ans, un travail sans avenir dans un café, et je payais à peine le loyer d'un appartement de la taille d'un placard. Deux hommes, ivres et agressifs, m'ont coincée, leurs rires résonnant sur les murs de briques.
« Regardez ce qu'on a là », a baragouiné l'un d'eux en attrapant mon carnet de croquis. « Une artiste. »
La panique m'a saisie, froide et suffocante. Mon cœur martelait contre mes côtes, un rythme frénétique et irrégulier qui, je le savais, précédait l'évanouissement.
Et puis, il est apparu. Alexandre Beaumont. Il se déplaçait avec une grâce mortelle, une tempête dans un costume sur mesure. Il n'a pas haussé la voix, n'a pas donné un coup de poing. Il a juste parlé, son ton bas et chargé d'une autorité qui a transpercé leur ivresse. Les hommes ont balbutié des excuses et se sont enfuis.
Il s'est tourné vers moi. Ses yeux, de la couleur d'une mer d'orage, m'ont scannée de la tête aux pieds. « Ça va ? »
Je n'ai pu que hocher la tête, serrant mon carnet de croquis contre ma poitrine.
Il a tendu la main. « Venez. Vous n'êtes pas en sécurité ici. »
Cette nuit-là, il m'a ramenée dans son appartement de luxe avec vue sur la Tour Eiffel. C'était comme entrer dans une autre dimension, un monde de marbre poli, de baies vitrées immenses et de richesse silencieuse et écrasante. Il m'a donné une chambre, des vêtements, de la nourriture. Il m'a dit que je pouvais rester.
Je suis tombée amoureuse de lui si vite que c'était comme tomber d'une falaise. Il était mon sauveur, mon mécène. Il a été la première personne à me faire sentir en sécurité.
Alexandre Beaumont était un magnat de l'immobilier, un roi de Paris. Son nom était murmuré avec crainte et révérence dans les conseils d'administration de toute la ville. Il était impitoyable, puissant et émotionnellement distant. Il me couvrait de cadeaux – robes de créateurs, bijoux coûteux, matériel d'art qui coûtait plus que mon loyer mensuel – mais son contact était toujours prudent, ses yeux retenant toujours quelque chose.
Le premier indice est apparu quelques mois après le début de notre étrange arrangement. J'ai trouvé un tiroir verrouillé dans son bureau. La curiosité, ce poison, a eu raison de moi. À l'intérieur, il y avait une seule photo usée. Une belle jeune fille blonde avec un sourire radieux, debout à côté d'un Alexandre adolescent. Au dos, de son écriture familière et acérée, il était écrit : Camille. Pour toujours.
Camille Leroy. La fille d'une dynastie rivale, son amie d'enfance, celle qui lui avait échappé. Je la voyais dans les pages des magazines people, un tourbillon de scandales, de fêtes et de fiançailles rompues.
Il se servait de moi. J'étais une belle distraction, un corps chaud pour remplir l'espace qu'elle avait laissé. Chaque cadeau qu'il me faisait, je l'ai réalisé plus tard, était de sa couleur préférée. Chaque restaurant où il m'emmenait était un endroit où elle avait été photographiée. Je vivais dans l'ombre d'un fantôme, une doublure pour un passé qu'il ne pouvait pas laisser partir.
Puis, il y a six mois, le fantôme est revenu.
Camille est revenue à Paris, sa vie tourbillonnante l'ayant finalement rattrapée. Les tabloïds disaient qu'elle était ruinée, sa réputation en lambeaux. Elle est venue voir Alexandre, en pleurant, prétendant que sa maladie cardiaque congénitale, jusqu'alors gérable, s'était soudainement aggravée.
Et d'un coup, j'ai cessé d'exister.
Alexandre était consumé. Il a déversé son temps, son attention, ses vastes ressources sur elle. Il l'a installée dans une suite privée du meilleur hôpital, a engagé des spécialistes de renommée mondiale. Il s'asseyait à son chevet pendant des heures, lui tenant la main, lui murmurant des promesses.
Je l'ai vu. J'ai vu la façon dont il la regardait. C'était un regard qu'il ne m'avait jamais accordé. Un regard d'amour brut, désespéré.
Le coup de grâce est tombé la semaine dernière. Il avait reçu un appel de l'hôpital, son visage s'illuminant d'un espoir désespéré. « Ils ont trouvé un donneur », avait-il dit à Camille au téléphone, la voix chargée d'émotion. « Un donneur compatible à la perfection. Anonyme, mais je leur paierai n'importe quoi. Dix millions, vingt. Peu importe. Camille, mon amour, tu vas t'en sortir. »
Je me tenais dans l'embrasure de la porte, invisible. Il parlait de moi. De mon tissu. De mon cœur miracle. Et il y mettait un prix.
La voix de Camille, mielleuse au téléphone, avait répondu : « Oh, Alexandre. Tu es mon héros. Qui que soit ce donneur, il a de la chance de pouvoir te servir. »
De la chance.
J'ai senti le dernier morceau de mon cœur, la partie que j'avais si désespérément essayé de protéger, se fissurer et se réduire en poussière.
Je suis retournée dans la cuisine, mes mouvements raides et robotiques. Il m'avait demandé de préparer un bouillon de poule pour Camille, son préféré. Mon propre estomac était un nœud d'anxiété ; je n'avais pas mangé de la journée. Mais son inquiétude était unique.
« Elara », avait-il dit, sans même me regarder alors qu'il raccrochait. « La soupe est prête pour Camille ? Elle a besoin de reprendre des forces. »
J'ai hoché la tête, engourdie, mes mains bougeant d'elles-mêmes. J'ai soulevé la lourde casserole, ma prise maladroite. La céramique chaude a glissé, me brûlant la main. Je n'ai même pas tressailli. La douleur était un écho lointain comparé au gouffre qui s'était ouvert dans ma poitrine.
Il a pris le thermos de mon autre main sans un mot de remerciement, son esprit déjà à moitié dehors, de retour avec elle.
En le regardant partir, je l'ai su. Cet amour était une impasse. Ma vie, mon cœur, n'étaient qu'un outil pour son obsession.
Et c'est ainsi que j'ai élaboré mon plan. Je suis allée en ligne et j'ai acheté une petite urne élégante. Le genre qu'on utiliserait pour des cendres. J'ai imprimé ma photo préférée de moi-même – un rare sourire sincère capturé lors d'une journée ensoleillée au parc. Je la donnerais au chirurgien, avec ma dernière volonté.
J'ai caché l'urne au fond de mon placard, derrière une rangée de chaussures de créateurs que je ne portais jamais.
Ce soir, j'étais censée être à un gala avec Alexandre. Au lieu de ça, je me tenais dans la ruelle derrière l'hôpital, l'endroit où ma nouvelle vie commencerait en simulant ma propre mort. Un moteur a vrombi au bout de la rue, et ma tête s'est relevée d'un coup, mon cœur se serrant d'une peur familière et primaire.