Elle n'avait pas entendu son beau-père entrer. Le grincement de la porte s'était mêlé au bruit de la pluie, mais sa voix, dure et tranchante, lui glaça aussitôt le sang.
- Prépare-toi, ordonna-t-il. Demain, tu pars.
Léa releva les yeux, cherchant une explication, une trace d'humanité sur ce visage sec et sévère. Ses joues se creusaient de plus en plus, ses yeux sombres brillaient d'un éclat cupide.
- Partir ? répéta-t-elle, incertaine. Où... où vais-je aller ?
Il eut un rictus amer.
- Là où tu aurais dû être depuis longtemps. Le Roi Alpha a besoin d'une épouse. Et toi... tu n'as jamais servi à rien dans cette maison, alors il est temps que tu deviennes utile.
Le souffle de Léa se bloqua dans sa gorge. Ses doigts lâchèrent le tissu, qui tomba au sol comme un papillon mort.
- Vous... vous m'avez vendue ?
Un silence pesant s'installa, seulement troublé par le craquement du bois humide dans la cheminée. Puis il haussa les épaules, comme si tout cela n'était qu'une affaire ordinaire.
- C'est un honneur que tu n'as pas mérité. Le Roi t'a achetée, Léa. Et demain, ses hommes viendront te chercher.
Son cœur battit si fort qu'elle crut qu'il allait s'échapper de sa poitrine. Les murs lui semblèrent se rapprocher, la pièce rétrécir, l'air manquer.
Elle se leva précipitamment et se précipita vers la petite chambre où sa mère se reposait. Ses pas résonnaient dans la maison silencieuse. Elle ouvrit la porte d'un geste brusque, les yeux déjà pleins de larmes.
- Maman, dis-moi que ce n'est pas vrai ! supplia-t-elle en tombant à genoux près du lit. Dis-moi que tu n'as pas laissé faire ça...
La femme, fatiguée et amaigrie, détourna le regard. Ses cheveux, autrefois épais et brillants, pendaient en mèches ternes autour de son visage creusé. Elle ne parla pas immédiatement, mais quand elle ouvrit enfin la bouche, ses mots furent comme des lames.
- Tu dois obéir, Léa. C'est le seul moyen de sauver cette maison.
Léa recula, comme frappée par un coup invisible.
- Me vendre ? À lui ? Tu sais ce qu'on dit du Roi Alpha... On raconte qu'il est cruel, maudit, que ses compagnes ne survivent jamais !
- Ce ne sont que des histoires, trancha sa mère d'un ton sec, sans la regarder.
Mais la crispation de ses mains sur le drap trahissait sa peur.
- Maman... murmura Léa, la voix brisée. Comment peux-tu... comment peux-tu rester si froide ? Je suis ta fille...
Sa mère ferma les yeux, comme si chaque mot la blessait, mais elle ne répondit pas. Le silence fut plus terrible encore que les reproches.
Léa se leva, le cœur déchiré. Elle comprit alors que personne ne viendrait la sauver. Ni sa mère, trop soumise au joug de son mari, ni elle-même, trop insignifiante pour se défendre.
La nuit passa dans un tourbillon d'angoisse et de larmes. À l'aube, les chevaux hennirent devant la maison. Des hommes en manteaux sombres descendirent de leurs montures, leurs bottes s'enfonçant dans la boue. Leurs regards étaient froids, leurs gestes précis. Ils n'étaient pas venus discuter : ils étaient venus prendre ce qui leur appartenait.
Léa fut tirée hors de la maison, ses protestations étouffées par les mains calleuses des gardes. Son beau-père les salua d'un sourire satisfait, une bourse lourde dans sa main. Elle vit le métal briller sous la lumière pâle du matin. Elle avait été échangée comme une simple marchandise.
Elle lança un dernier regard à sa mère, debout sur le seuil, immobile. Ses yeux se croisèrent un instant. Pas une larme, pas un geste. Juste ce silence glacé, comme si la femme avait effacé en elle tout instinct maternel.
Le voyage jusqu'au palais dura toute la journée. La forêt s'étendait à perte de vue, sombre et menaçante, comme un couloir sans fin vers l'inconnu. Le ciel se couvrait peu à peu, et le tonnerre grondait au loin. Léa gardait les yeux fixés sur l'horizon, priant en silence pour que le sol s'ouvre et l'avale avant qu'elle n'arrive à destination.
Enfin, les hautes murailles noires du palais apparurent. Majestueuses, oppressantes, elles semblaient absorber la lumière du jour. Des corbeaux tournaient dans le ciel, comme des sentinelles silencieuses. Les portes de fer s'ouvrirent dans un grincement sinistre.
Les gardes la poussèrent à l'intérieur. Elle trébucha sur les dalles froides, son souffle court, ses mains tremblantes. Les couloirs étaient éclairés par des torches, projetant des ombres dansantes sur les murs. Chaque pas résonnait comme un coup de marteau dans sa poitrine.
On la conduisit dans une vaste salle, dont le plafond s'élevait si haut qu'il disparaissait presque dans l'obscurité. Des colonnes massives soutenaient la voûte, et au bout de l'allée, un trône de pierre sombre trônait comme une menace silencieuse.
Et il était là.
Le Roi Alpha.
Théo.
Ses yeux d'un gris d'acier la fixaient avec une intensité presque insoutenable. Ses traits étaient taillés comme la lame d'une épée, beaux et terrifiants à la fois. Son port de tête, sa carrure, tout en lui respirait la puissance et l'autorité. Mais il y avait autre chose... une obscurité invisible, une aura de danger qui enveloppait l'air autour de lui.
Léa sentit ses jambes fléchir. Ses lèvres s'asséchèrent. Elle aurait voulu détourner le regard, mais ses yeux restèrent accrochés aux siens, prisonnière d'un magnétisme qu'elle ne comprenait pas.
Il ne parla pas tout de suite. Le silence s'étira, pesant, jusqu'à ce qu'il lève légèrement la main. Les gardes reculèrent.
Sa voix, grave et glaciale, brisa enfin l'air figé.
- C'est donc toi.
Ce n'était pas une question. C'était une constatation, froide et définitive.
Léa ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Son cœur battait à tout rompre, ses mains tremblaient si fort qu'elle les serra contre sa robe pour les cacher.
- Approche.
Un ordre. Net, sans appel.
Elle fit un pas, puis un autre, ses genoux sur le point de céder. Lorsqu'elle s'arrêta à quelques mètres de lui, elle eut l'impression que son souffle lui était arraché. Son odeur - sauvage, bois brûlé et pluie d'orage - envahit ses sens.
Et c'est là que cela se produisit.
Une étrange chaleur naquit dans sa poitrine, s'étendant jusque dans ses veines. Ses yeux rencontrèrent les siens et, l'espace d'un instant, elle crut voir une flamme vaciller dans son regard. Une reconnaissance muette, un appel mystérieux qui fit vibrer son âme.
Mais cela disparut aussitôt, remplacé par une froideur implacable.
Théo détourna les yeux et se renfonça dans son trône.
- Emmenez-la.
Deux gardes la saisirent par les bras. Léa baissa la tête, le cœur battant d'un mélange d'effroi et d'attirance qu'elle n'aurait jamais cru possible. Elle avait croisé le regard du roi maudit... et quelque chose en elle savait que sa vie venait de basculer à jamais.