Elle avançait, droite et fière, malgré le poids invisible qui pesait sur ses épaules. Derrière elle, Sereja marchait à grands pas, sa présence réconfortante mais tendue. Il ne disait rien, mais elle sentait la colère contenue dans chacun de ses mouvements. Il ne voulait pas qu'elle parte.
Les frontières du territoire des Volkov étaient proches. Elle les sentait dans chaque fibre de son être, une énergie lourde, étrangère, qui faisait frémir sa louve intérieure. Un avertissement silencieux.
Des ombres émergèrent des arbres, glissant entre les troncs avec une fluidité surnaturelle. Une demi-douzaine de guerriers se dévoilèrent, tous vêtus de noir, des visages durs et inexpressifs. L'un d'eux s'avança, un homme massif à la barbe sombre et aux yeux d'un bleu glacial.
- Luna Volkova.
Il ne s'agissait pas d'une question. Elle releva le menton.
- Moi-même.
Il l'observa un instant, jaugeant sans doute si elle était une menace. Derrière lui, un autre homme s'avança, plus jeune, plus élancé. Son regard était perçant, teinté d'une lueur calculatrice.
- Suis-nous.
Ils ne jetèrent même pas un regard à Sereja. Pour eux, il n'existait pas. Mais elle, elle appartenait déjà aux Volkov.
Sereja fit un pas en avant, une lueur menaçante dans les yeux.
- Je vais avec elle.
L'homme au regard bleu ne daigna même pas répondre.
- Non.
Luna posa une main sur le bras de Sereja, sentant la tension vibrer sous sa peau. Il aurait voulu se battre, arracher leur accord et la ramener de force, mais il savait aussi qu'elle ne le permettrait pas.
- Retourne auprès de ma famille, souffla-t-elle. Protège-les.
Le combat intérieur se refléta sur son visage, un mélange de frustration et de douleur. Finalement, après un dernier regard brûlant, il tourna les talons et disparut dans la neige.
Les Volkov se mirent en marche sans attendre.
Elle leur emboîta le pas, sentant à chaque foulée le poids du territoire ennemi s'abattre sur elle.
La marche fut silencieuse et interminable. Luna sentit immédiatement la différence entre son territoire et celui des Volkov. Ici, la forêt était plus dense, plus sombre, comme si les arbres eux-mêmes portaient en eux la fureur des batailles passées. L'ombre semblait peser sur le sol, alourdissant ses pas et l'air qu'elle respirait.
Les guerriers autour d'elle ne parlaient pas, mais elle percevait leur hostilité dans la rigidité de leurs gestes, dans la façon dont leurs regards pesaient sur elle. Ils la considéraient comme une intruse, un fardeau imposé par un pacte qu'ils n'avaient pas choisi.
Luna connaissait les histoires sur les Volkov. Des rumeurs, des murmures effrayants racontés autour du feu par les jeunes loups de sa meute. On disait qu'ils étaient plus bêtes qu'humains, que leur Alpha, Dmitri « Dark » Volkov, n'était qu'une ombre insaisissable, une légende tissée de peur et de sang.
Elle ne croyait pas aux contes. Mais la tension qui émanait de cette forêt, la sensation oppressante dans son ventre, étaient bien réelles.
Ils arrivèrent enfin à une clairière dégagée. Au centre trônait une bâtisse imposante, un mélange de pierre brute et de bois sombre. Un manoir austère, dépourvu de la chaleur des foyers qu'elle connaissait.
L'un des guerriers poussa la lourde porte et s'effaça pour la laisser entrer.
Dès qu'elle franchit le seuil, l'odeur du feu de bois mêlée à celle du cuir et du sang séché l'assaillit. Un silence tendu régnait à l'intérieur, à peine troublé par des voix lointaines.
- L'Alpha vous attend, annonça l'homme au regard bleu.
Il ouvrit une seconde porte, et Luna entra dans une pièce plus vaste, illuminée par les flammes d'un foyer rugissant.
Dmitri Volkov était assis dans un fauteuil de cuir usé, un verre d'alcool à la main. Ses cheveux sombres tombaient en mèches épaisses sur son front, et ses yeux gris acier se posèrent sur elle avec une intensité glaciale.
- Te voilà enfin.
Sa voix était rauque, profonde, emplie d'un calme menaçant.
Luna soutint son regard sans ciller.
- J'ai respecté notre accord.
Un rictus étira ses lèvres, mais il ne répondit rien. À ses côtés, une silhouette se détacha de l'ombre. Un jeune homme, à peine plus âgé qu'elle, dont les traits reflétaient ceux de l'Alpha.
Viktor Volkov.
Son regard sombre la traversa, et dans ce silence suspendu, Luna comprit qu'ici, parmi ces loups hostiles, elle n'aurait droit à aucune faiblesse.
Les flammes du foyer projetaient des ombres mouvantes sur les murs de pierre, sculptant les traits de Dmitri Volkov en un masque impénétrable. L'Alpha des Volkov ne bougea pas tout de suite, se contentant de la détailler avec la patience d'un prédateur évaluant sa proie.
À ses côtés, Viktor Volkov se tenait droit, bras croisés sur sa poitrine, le regard sombre et indéchiffrable. Son visage était dur, taillé dans la pierre, et Luna sentit immédiatement l'hostilité qui émanait de lui.
- Tu as respecté l'accord, dit enfin Dmitri d'un ton mesuré. Reste à voir si tu en es digne.
Luna ne répondit pas. Il n'y avait rien à dire. Elle n'était pas venue ici pour quémander leur acceptation, ni pour prouver sa valeur. Elle était ici parce que son père l'avait voulu, parce qu'elle avait choisi la paix au prix de sa propre liberté.
Dmitri se leva lentement, imposant. Malgré les années qui pesaient sur lui, il respirait la force brute et la dominance.
- Viktor, conduis-la à ses quartiers.
Un ordre, sans appel.
Le jeune homme ne broncha pas, mais Luna capta la lueur froide qui traversa son regard. Il se détourna et sortit sans un mot, l'obligeant à lui emboîter le pas.
Elle le suivit à travers les couloirs sombres du manoir. L'endroit était oppressant, imprégné d'une odeur de suie et de bois vieilli. Rien à voir avec le foyer chaleureux des Bielov. Ici, tout semblait austère, comme si la chaleur de la vie avait été bannie depuis longtemps.
Ils montèrent un escalier de pierre et Viktor s'arrêta devant une porte massive.
- C'est là.
Sa voix était tranchante, dénuée de toute émotion.
Luna le fixa un instant, mais il évitait son regard. Ses traits restaient fermés, une muraille de froideur.
- Je suppose que je n'ai pas droit à un accueil plus chaleureux ? lança-t-elle, un sourire ironique aux lèvres.
Viktor esquissa un rictus sans joie.
- Tu n'es pas chez toi ici, Bielov. Ne l'oublie pas.
Puis, sans attendre de réponse, il tourna les talons et disparut dans l'ombre du couloir.
Luna poussa un soupir avant d'ouvrir la porte.
La pièce était simple, presque spartiate. Un lit de bois, une armoire, une fenêtre étroite donnant sur la forêt sombre. Pas de superflu. Pas de confort.
Elle referma la porte et s'adossa contre le bois massif.
Seule.
Elle était enfin plongée dans le cœur des Volkov, au milieu des ennemis de sa meute, à la merci d'un destin qu'elle ne contrôlait plus.
Et ce n'était que le début.
La nuit était tombée depuis longtemps, et pourtant, le sommeil fuyait Luna. Allongée sur le lit raide de sa nouvelle chambre, elle fixait le plafond de bois brut, écoutant les bruits de la demeure Volkov. Le silence n'existait pas ici. Elle percevait des pas feutrés dans les couloirs, des chuchotements, des frottements d'armures et, par moments, le hurlement d'un loup solitaire au loin.
L'atmosphère pesait sur elle comme une chape de plomb. Elle avait grandi dans une meute où l'unité et la loyauté étaient des piliers, mais ici... c'était différent. Il n'y avait que des ombres et des regards méfiants.
Un bruit la tira de ses pensées. Quelqu'un frappait à la porte.
Luna se redressa immédiatement, tendue. Elle hésita un instant avant de se lever et d'ouvrir.
Face à elle, une jeune femme aux cheveux bruns noués en une tresse serrée la scrutait avec un mélange de curiosité et de défiance.
- Je suis Kira. Dmitri m'a demandé de t'escorter jusqu'à la salle d'entraînement.
Luna arqua un sourcil.
- Maintenant ?
Kira haussa les épaules.
- Chez nous, il vaut mieux ne jamais refuser un ordre de l'Alpha.
Luna ne répondit pas, mais elle comprit le sous-entendu. Ici, Dmitri régnait sans partage. Il ne tolérait ni la faiblesse, ni l'indiscipline.
Elle attrapa une veste en cuir et suivit Kira à travers les couloirs sombres. Elles descendirent plusieurs escaliers en colimaçon avant de déboucher sur une grande salle en pierre, éclairée par des torches. L'odeur de sueur et de sang séché flottait dans l'air.
Plusieurs guerriers étaient déjà présents, des hommes et des femmes à la carrure imposante. Certains s'échauffaient, d'autres échangeaient des coups violents sous le regard impassible de Viktor, qui se tenait sur le côté, bras croisés.
Dmitri était là aussi.
- Approche, Luna, ordonna-t-il d'un ton neutre.
Elle s'exécuta, sentant les regards peser sur elle. Elle n'était pas la bienvenue, c'était évident.
- Puisque tu vas vivre parmi nous, il est temps de voir si tu as ta place ici.
Dmitri tourna la tête et fit un signe à un homme massif qui s'avança.
- Nikolaï sera ton adversaire.
Luna posa les yeux sur l'homme qui se tenait devant elle. Grand, musclé, un visage marqué par plusieurs cicatrices et des yeux perçants. Il était plus âgé, plus expérimenté... et elle comprit tout de suite qu'il n'hésiterait pas à la blesser.
Elle retira sa veste, s'avança dans le cercle tracé à la craie au sol.
Nikolaï la jaugea un instant, puis attaqua.
Luna esquiva de justesse le premier coup, sentit le vent siffler contre sa joue. Il était rapide, bien plus qu'elle ne l'avait anticipé.
Elle pivota sur elle-même, tentant une contre-attaque, mais il para avec une facilité déconcertante et lui asséna un coup à l'épaule qui la fit reculer.
Les murmures autour d'eux s'amplifièrent.
Luna raffermit sa prise sur le sol. Pas question de perdre. Pas question de leur donner la satisfaction de la voir échouer.
Nikolaï attaqua à nouveau, et cette fois, elle le vit venir. Elle bloqua son coup, glissa sur le côté et lui décocha un coup de pied dans les côtes. Il recula, surpris.
Un sourire étira ses lèvres.
Luna Volkova n'était pas une proie facile.
Le combat ne faisait que commencer.