Clara n'était pas une femme qui attirait l'attention. Avec ses vêtements simples, son regard souvent baissé et sa voix calme, elle se fondait dans l'ombre. Elle avait appris à se dissimuler, à rester dans les coulisses. Le monde pouvait tourner sans elle. C'était mieux ainsi. Mais au fond d'elle, un désir secret brûlait - celui de sortir de cette cage invisible qu'elle s'était construite, de s'émanciper. Ce travail, ce petit pas vers l'extérieur, en était peut-être le début.
Elle se frotta les yeux, se pinça les lèvres. Tout allait bien. Cela allait bien se passer. Elle se répétait cette phrase comme un mantra.
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Léo Devereux, à l'opposé de Clara, n'avait besoin de personne pour briller. Il vivait dans l'éclat de sa réussite, un empire bâti à la sueur de son front et une réputation forgée dans l'acier. Son regard perçant pouvait scruter l'âme des gens, et ses gestes, mesurés et calculés, ne laissaient place à aucune faiblesse. Il était l'image parfaite de l'homme qui avait tout, ou presque. Un homme que Clara redoutait presque instinctivement.
Il n'avait pas l'habitude de traiter avec des gens comme elle, du moins pas de manière personnelle. Les employés étaient des outils dans son univers, des rouages interchangeables dans la mécanique de son empire. Il n'y avait pas de place pour la sympathie. Les gens qui travaillaient pour lui étaient là pour produire, pour livrer des résultats. Clara allait devoir en faire ses preuves.
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Le trajet jusqu'au bureau se fit dans un silence lourd. Les rues de la ville se vidaient peu à peu de leurs passants pressés, et la pluie fine qui tombait semblait symboliser l'atmosphère pesante de la journée. Clara arriva enfin au bâtiment Devereux, un colosse de verre et de métal, symbole de la puissance de l'homme qui en était le maître. Elle entra, le regard fixé sur ses pieds, évitant soigneusement tout contact visuel avec les autres employés. L'ascenseur, un cube de verre, l'emmena jusqu'à son étage, mais le vertige ne venait pas de la hauteur. C'était une sensation plus profonde, un malaise d'être dans cet espace si impitoyable, un endroit où elle n'avait rien à faire, mais où elle était contrainte d'être.
Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, Clara aperçut un large open space, des bureaux modernes, chacun avec des chaises confortables et des plantes vertes soigneusement placées. Les employés semblaient absorbés dans leurs tâches, parfaitement en place, discrets mais efficaces. C'était un monde qui lui était étranger, et chaque pas qu'elle faisait semblait résonner plus fort qu'il ne le devait.
Elle s'approcha du comptoir de réception et attendit qu'on lui indique où aller. Un homme d'une quarantaine d'années, au visage dur et impassible, leva les yeux de son ordinateur. Il la fixa un instant, comme s'il cherchait quelque chose en elle, avant de lui indiquer la direction.
"Deuxième porte à droite. Monsieur Devereux vous attend."
Clara sentit un frisson lui parcourir l'échine, et elle hocha la tête en silence, rassemblant ses pensées pour éviter que ses jambes tremblantes ne la trahissent.
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Léo Devereux, installé derrière son bureau, ne levait jamais les yeux lorsque quelqu'un entrait dans son bureau. Mais lorsqu'il entendit la porte s'ouvrir, il se redressa, ses yeux devenant deux éclats d'acier dans la lumière tamisée. Il l'observa, Clara, sans un mot. Il remarqua sa posture, ses vêtements simples, mais aussi quelque chose d'intéressant dans sa manière de se tenir. Elle n'était pas là par hasard, mais sa réserve le gênait. Il aimait les gens qui avaient du caractère, qui étaient prêts à se battre. Clara semblait tout le contraire.
Elle s'approcha timidement du bureau, posant son sac sur le sol avec un léger bruit sourd. Léo attendait, silencieux. Il pouvait presque sentir la nervosité qui émanait d'elle, un malaise palpable qui l'intriguait.
"Clara," dit-il finalement, sa voix basse et autoritaire. "Je suppose que vous êtes au courant des attentes que j'ai pour mes employés."
Clara leva les yeux vers lui. Sa voix était tremblante, mais elle parvint à lui répondre.
"Oui, Monsieur Devereux."
Il la regarda longuement, une lueur de défi dans ses yeux sombres. Il était rare qu'on lui parle ainsi, avec cette retenue. Le sourire qu'il esquissa n'était ni aimable ni cruel, mais plutôt une invitation à observer, à comprendre.
"Nous allons voir ce que vous valez." Sa phrase était à la fois un défi et une promesse, et Clara le savait déjà : dans ce bureau, chaque geste, chaque mot compterait.
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Les heures passèrent comme des minutes. Clara s'efforça de suivre le rythme imposé par les autres employés, se familiarisant lentement avec son rôle d'assistante. À chaque tâche qu'elle accomplissait, Léo la surveillait de loin, son regard glissant sur elle sans jamais vraiment s'attarder. Il semblait ne jamais être satisfait, mais Clara ne se laissa pas décourager. Son secret, bien que lourd, ne devait pas interférer avec sa mission. Elle se concentra sur son travail, observant les autres, apprenant le fonctionnement de ce monde.
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La première rencontre officielle entre Léo et Clara laissa une impression persistante dans l'esprit de Clara. Elle avait du mal à s'en défaire. Chaque fois qu'elle croisait son regard, un frisson courant le long de sa colonne vertébrale, comme si elle était à la fois visible et invisible à ses yeux. Une partie d'elle avait envie de s'effondrer, de se dévoiler, mais la peur était plus forte.
Clara n'était pas là pour les promesses de l'amour ou de la reconnaissance. Elle était là pour effacer son passé. Mais en observant Léo, un homme que tout le monde semblait craindre et admirer, Clara commençait à douter. Elle se demandait s'il n'y avait pas plus à découvrir derrière son apparence de rocher impénétrable. Peut-être, mais elle n'était pas prête à l'explorer, pas encore.
La journée s'acheva comme elle avait commencé : dans le silence de l'effort, de l'apprentissage. Mais au fond d'elle, quelque chose bouillonnait, quelque chose de plus grand, de plus dangereux que ce qu'elle aurait pu imaginer.