La lumière tremblait légèrement au plafond de l'appartement exigu, projetant des ombres vacillantes sur les murs. Sienna Moretti referma son livre d'un geste las, le cœur serré par une solitude qu'elle connaissait trop bien. Les voix dans la pièce voisine – son père et ses deux frères – étaient à peine atténuées par la mince cloison. Elle n'avait pas besoin d'écouter pour comprendre. Encore une fois, ils débattaient de son utilité, ou plutôt de son absence de valeur pour leur famille. Une humaine, sans loup, dans une famille autrefois fière de sa lignée pure. Pour eux, elle n'était rien de plus qu'un poids mort.
Elle ne se rappelait plus exactement quand le mépris avait remplacé l'amour dans leurs regards. Peut-être à ses quatorze ans, lorsque son premier cycle avait révélé qu'elle ne porterait jamais le gène du loup. Peut-être encore plus tôt, quand sa mère, lasse de se battre contre ce père autoritaire, avait quitté la maison sans un mot. Peu importait. À vingt-quatre ans, Sienna n'attendait plus rien de personne.
La porte s'ouvrit brusquement, et son frère aîné, Matteo, fit irruption dans sa chambre. Il avait cette allure imposante et ce regard glacial qui faisaient trembler même les membres de leur propre meute.
- Habille-toi, ordonna-t-il sans préambule. Papa veut te voir dans le salon.
- Pourquoi ? demanda-t-elle, tentant de masquer la crainte dans sa voix.
- Fais juste ce qu'on te dit.
Sienna soupira, mais obéit. Habituée à ces convocations inattendues, elle avait appris depuis longtemps qu'il valait mieux ne pas poser de questions. Dans le salon, son père, Giovanni Moretti, était assis sur son fauteuil préféré, un verre de whisky à la main. L'odeur âcre emplissait la pièce. À ses côtés, Matteo et Enzo, ses deux frères, semblaient étrangement tendus. Quelque chose clochait.
- Assieds-toi, dit Giovanni d'une voix grave.
Elle obéit, ses mains crispées sur ses genoux. Le silence s'étira, pesant.
- Tu as une chance de racheter l'honneur de cette famille, reprit son père enfin.
Son cœur s'emballa. Elle savait où cela menait. Depuis des années, son père cherchait à la marier à un membre influent d'une autre meute, espérant que son sang rare pourrait compenser son absence de loup. Jusqu'à présent, personne n'avait accepté.
- Dominic Valenti, poursuivit Giovanni, a proposé un arrangement.
Le nom suffit à faire basculer son monde. Dominic Valenti. Ce n'était pas un simple Alpha ; c'était *l'Alpha*. À la tête de la meute la plus puissante et d'un empire criminel qui s'étendait bien au-delà des frontières des clans. Il était redouté, respecté, et entouré de rumeurs sinistres. On disait qu'il avait détruit des meutes entières pour des trahisons minimes, que son loup était incontrôlable, presque monstrueux.
- Pourquoi ? souffla-t-elle, incapable de masquer sa stupeur. Pourquoi lui ?
Giovanni croisa les bras, un sourire dur étirant ses lèvres.
- Parce qu'il a demandé à te rencontrer. Il veut un mariage, et il te veut toi.
Sienna sentit son estomac se tordre. Ce n'était pas une demande, c'était une sentence.
- Et si je refuse ? demanda-t-elle d'une voix tremblante.
Le rire de Giovanni résonna dans la pièce, froid et sans joie.
- Refuser ? Tu crois que nous avons le luxe de refuser Dominic Valenti ? Ce mariage assurera notre survie, Sienna. Et toi, tu n'as rien à perdre.
Rien à perdre. Ces mots résonnèrent dans sa tête alors qu'elle se tenait devant l'immense bâtiment qui servait de siège à Dominic. Deux jours plus tard, vêtue d'une robe qu'on lui avait imposée, elle attendait. Matteo se tenait à ses côtés, silencieux mais vigilant.
- Il arrive, murmura son frère en tournant la tête vers le grand escalier de marbre.
Sienna releva les yeux, et son souffle se coupa. Dominic Valenti descendait lentement, chaque pas résonnant dans le silence pesant. Grand, imposant, vêtu d'un costume noir parfaitement ajusté, il avait une aura qui commandait l'attention et la peur. Ses cheveux sombres encadraient un visage anguleux, et ses yeux – d'un gris métallique – semblaient percer à travers elle.
Il s'arrêta à quelques mètres d'elle, l'observant en silence. Sous son regard intense, elle se sentit vulnérable, presque nue.
- Sienna Moretti, dit-il enfin, sa voix grave et posée.
Elle hocha la tête, incapable de trouver les mots. Il esquissa un sourire, mais ce n'était pas un sourire chaleureux. C'était un sourire qui ne promettait rien de bon.
- Alors, c'est toi.
Elle ne savait pas comment répondre à cela. Son frère posa une main lourde sur son épaule, comme pour la forcer à se maintenir droite.
- Oui, c'est elle, intervint Matteo.
Dominic ne détourna pas les yeux de Sienna.
- Laisse-nous.
Matteo hésita, mais il obéit. Lorsqu'il disparut dans une autre pièce, le silence devint presque insupportable. Dominic fit un pas vers elle, réduisant la distance entre eux.
- Tu sembles terrifiée, remarqua-t-il.
- Peut-être parce que je le suis, répliqua-t-elle avant de pouvoir s'en empêcher.
Il haussa un sourcil, clairement surpris par sa franchise.
- Intéressant.
Elle déglutit.
- Pourquoi moi ?
Dominic pencha légèrement la tête, ses yeux s'assombrissant.
- Pourquoi pas toi ? répondit-il, un brin moqueur.
- Ce n'est pas une réponse, rétorqua-t-elle, tentant de masquer sa nervosité.
Il la fixa un moment, puis se mit à tourner lentement autour d'elle, comme un prédateur évaluant sa proie.
- Ton sang est rare, murmura-t-il finalement. Mais ce n'est pas tout. Tu as quelque chose que je cherche.
Elle fronça les sourcils, confuse.
- Et qu'est-ce que c'est ?
Il s'arrêta face à elle, son regard perçant de nouveau ancré dans le sien.
- Du courage. Et une certaine... capacité à défier les attentes.
Sienna ne savait pas si elle devait se sentir flattée ou effrayée. Il y avait quelque chose dans sa voix, dans son regard, qui la troublait profondément.
- Ce mariage, continua-t-il, n'est pas une simple formalité. C'est un pacte. Une promesse. Et une responsabilité. Es-tu prête à l'assumer ?
Elle »uvrit »la bouche, mais aucun son n'en sortit. Était-elle prête ? Bien sûr que non. Mais avait-elle le choix ?
- Je n'ai pas l'impression que j'ai vraiment le choix, murmura-t-elle finalement.
Il sourit de nouveau, ce sourire énigmatique et intimidant.
- Non, tu ne l'as pas. Mais tu verras, Sienna. Parfois, ce qu'on croit être une malédiction peut devenir une bénédiction déguisée.
Elle ne répondit pas. Mais dans son esprit, une pensée persistante refusait de se taire : *Et si c'était le contraire ?*