Les talons claquèrent sur le sol. C'était lui, bien sûr. Zachary Blackwell, le fils prodige, celui qui trouvait un plaisir sadique à piétiner la moindre étincelle de bonheur chez les autres, surtout chez elle.
- Tu n'es pas en train de t'accorder une pause pour ton « anniversaire », si ? Son ton dégoulinait de sarcasme.
Elle ne répondit pas. Il adorait les confrontations, se nourrissait des ripostes maladroites ou des silences tendus.
- Regarde-toi, continua-t-il en s'approchant. Tu espères quoi, Madelyn ? Une promotion ? Une tape sur l'épaule ? On sait tous pourquoi tu es ici. Tu devrais remercier mon père de ne pas t'avoir laissée dans ce trou à rats d'où tu viens.
Le souffle lui manqua, comme si ses mots avaient le pouvoir de l'étouffer. Elle ne bougea pas, le regard toujours rivé sur l'assiette.
- Hé, tu m'écoutes ?
Sa voix claqua comme un fouet. Elle releva enfin les yeux, mais pas pour lui répondre. Elle cherchait à comprendre pourquoi il lui en voulait autant, pourquoi il prenait un malin plaisir à la rabaisser.
- Oui, je vous écoute, dit-elle simplement.
Le « vous » le fit tiquer. Il fronça les sourcils, mais au lieu de s'énerver, il éclata de rire. Un rire froid, tranchant, qui résonna dans la pièce vide.
- Tu es un vrai spectacle, murmura-t-il en secouant la tête avant de tourner les talons.
Quand il disparut, Madelyn sentit ses épaules s'affaisser. Les humiliations étaient devenues une routine. Elle avait appris à encaisser, à ne pas laisser les larmes couler. Mais ce soir-là, quelque chose en elle vacillait. Était-ce l'idée de passer un anniversaire de plus dans cette cage dorée, ou la certitude qu'elle ne s'en échapperait jamais ?
Une enveloppe glissa sous la porte. Elle sursauta, hésita, puis se pencha pour la ramasser. Pas de nom, pas de timbre. Juste une écriture ancienne, élégante, sur un papier épais qui dégageait une odeur de cire.
Elle déchira le haut avec précaution, ses doigts tremblants sans raison apparente.
> *« Mlle Madelyn Grace,
> Vous êtes la compagne choisie.
> Présentez-vous demain à 10 heures dans le bureau de M. Richard Blackwell.
> Ce testament ne peut être ignoré. »*
Les mots dansaient devant ses yeux. Compagne choisie ? Testament ? Une erreur, sans doute. Quelqu'un s'était trompé de destinataire.
Mais une boule se forma dans son ventre, une certitude qu'elle ne pouvait pas expliquer. Ce message était pour elle.
Le lendemain, la porte du bureau de Richard Blackwell semblait plus massive que d'habitude. Elle inspira profondément avant d'entrer, son cœur battant à un rythme effréné.
Richard était assis derrière son bureau, un homme imposant dont la simple présence dominait la pièce. À côté de lui, Zachary, nonchalamment appuyé contre le mur, un sourire narquois au coin des lèvres.
- Ah, Madelyn, entrez, dit Richard d'une voix grave.
Elle obéit, refermant doucement la porte derrière elle.
- Asseyez-vous.
Elle s'exécuta, sentant le poids des regards des deux hommes sur elle.
- Je vais aller droit au but, poursuivit-il. Vous connaissez l'histoire de notre famille, je suppose.
Elle hocha la tête, bien que les détails lui échappent. Tout ce qu'elle savait, c'était que les Blackwell possédaient un empire si vaste qu'il semblait impossible à un simple mortel d'en comprendre l'étendue.
- Il y a des traditions dans notre lignée. Des obligations. Et l'une d'elles vous concerne directement.
Son estomac se noua.
- Moi ? Je ne vois pas...
- Le testament de notre ancêtre, coupa-t-il sèchement. Selon ses volontés, une femme née sous certaines conditions doit devenir la compagne de l'héritier. Vous êtes cette femme.
Le silence qui suivit était assourdissant. Zachary éclata de rire, un rire sans joie.
- Vous plaisantez ? Cette fille ? Sérieusement ?
Richard le fusilla du regard, mais Zachary continua, s'approchant de Madelyn.
- Tu es quoi, une secrétaire à peine compétente ? Et tu veux me faire croire que tu as une quelconque importance dans cette famille ?
Elle se leva d'un bond, la colère montant en elle comme une vague incontrôlable.
- Je n'ai rien demandé, cracha-t-elle. Je ne veux pas de votre... de ce... de cette absurdité !
Richard se pencha légèrement en avant, posant ses coudes sur son bureau.
- Ce n'est pas une question de vouloir, jeune fille. C'est une obligation légale. Et je vous conseille de réfléchir très sérieusement avant de rejeter cette opportunité.
Ses mains tremblaient. Elle tourna les talons et quitta la pièce sans un mot, le souffle court.
Dans le couloir, l'air semblait plus épais, chaque pas un effort. Mais au fond d'elle, une décision naissait. Elle ne serait pas une marionnette dans leur jeu ancestral.
Elle rentrerait chez elle, ferait ses bagages, et disparaîtrait. Peu importe les conséquences.
Cette nuit-là, alors qu'elle rassemblait ses affaires dans un sac, une pensée l'assaillit. Pourquoi elle ? Qu'avait-elle fait pour mériter ça ?
Et surtout, qu'est-ce qui se cachait vraiment derrière ce testament ?