Le domaine apparut enfin devant elle, immense et imposant, se découpant dans la nuit comme une forteresse. Les lumières tamisées perçaient à travers les grandes fenêtres, projetant des ombres réconfortantes sur le gravier mouillé de l'allée. Le cœur de Livia se serra en voyant ces signes de chaleur et de sécurité. Elle hésita une fraction de seconde. Serait-elle la bienvenue ici ? Ou bien avait-elle commis une erreur en pensant que Diana, sa seule amie dans ce monde de luxe et de privilèges, pourrait encore l'aider ?
Elle inspira profondément, se força à ignorer ses doutes, et s'approcha des immenses grilles en fer forgé. Ses doigts glacés cherchèrent l'interphone. Elle appuya sur le bouton, mais le vent hurlant étouffa le faible son de la sonnette. Elle appuya à nouveau, cette fois plus longuement, et attendit.
Rien.
Livia sentit une pointe de panique l'envahir. Et si Diana n'était pas là ? Et si personne ne répondait ? Elle leva une main tremblante et frappa contre les grilles, le métal froid mordant sa peau.
« S'il vous plaît... Diana... » Sa voix n'était qu'un murmure, emportée par le vent.
Après ce qui lui parut une éternité, une voix familière retentit enfin dans l'interphone.
« Qui est là ? »
Livia faillit s'effondrer en entendant la voix de Diana.
« C'est moi... Livia. » Sa voix se brisa sur son propre nom, comme si le dire à haute voix confirmait toute la fragilité de sa situation. « Je... j'ai besoin de toi. »
Un silence suivit, si long qu'elle crut un instant que la connexion s'était coupée. Puis, un déclic mécanique se fit entendre, et les grilles commencèrent à s'ouvrir lentement.
Livia s'avança d'un pas hésitant, ses jambes tremblantes et son souffle court. Quand elle atteignit enfin le porche, une lumière vive illumina son visage. Diana se tenait là, une silhouette gracile mais solide, vêtue d'un peignoir en soie et d'une expression de pure stupéfaction.
« Mon Dieu, Livia... » souffla-t-elle en voyant l'état de son amie.
Diana se précipita vers elle, la prenant par les épaules pour la soutenir.
« Qu'est-ce qui t'est arrivé ? Entre vite, tu vas attraper la mort ! »
Elle la tira doucement à l'intérieur, refermant la porte derrière elles. La chaleur de l'entrée, avec son parquet poli et ses lustres scintillants, frappa Livia de plein fouet. Elle frissonna violemment, ses vêtements mouillés la rendant encore plus consciente de son inconfort.
« Assieds-toi là, » ordonna Diana, désignant un banc près du mur. Elle disparut un instant avant de revenir avec une couverture épaisse qu'elle drapa sur les épaules de son amie.
« Qu'est-ce qui se passe, Livia ? Pourquoi tu es dans cet état ? » demanda Diana, son ton oscillant entre inquiétude et confusion.
Livia ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit. Les mots étaient coincés dans sa gorge, bloqués par l'émotion et la peur. Elle baissa la tête, évitant le regard de Diana.
Le bruit de pas lourds dans l'escalier les fit sursauter. Une silhouette massive apparut dans l'encadrement, descendant les marches avec une lenteur calculée. Alexander Mornay, le maître des lieux, émanait une autorité presque intimidante, même vêtu simplement d'un pantalon sombre et d'une chemise déboutonnée. Ses cheveux noirs étaient légèrement en désordre, et son regard bleu acier balaya la scène devant lui.
« Qu'est-ce que c'est que ce cirque ? » demanda-t-il, sa voix grave résonnant dans le grand hall.
Livia releva les yeux vers lui, et une vague de honte l'envahit. Elle se sentit petite, insignifiante, sous le regard perçant de cet homme qu'elle connaissait à peine.
Diana se redressa immédiatement, se plaçant instinctivement entre Alexander et Livia.
« C'est Livia, » expliqua-t-elle rapidement. « Elle a besoin d'aide. Elle va rester ici un moment. »
Alexander fronça les sourcils, ses yeux se plissant légèrement.
« Et depuis quand transformons-nous le domaine en refuge pour les âmes égarées ? »
« Alexander ! » s'exclama Diana, son ton mêlant reproche et indignation. « Elle est ma meilleure amie. Elle est en danger, et je ne pouvais pas la laisser seule. »
L'homme ne répondit pas tout de suite, son regard passant de Diana à Livia. Cette dernière sentit son estomac se nouer sous le poids de son observation.
« Si elle est en danger, cela signifie qu'elle amène ses problèmes ici, » dit-il enfin, chaque mot prononcé avec une froide précision. « Et je ne tolère pas les problèmes dans ma maison. »
Diana serra les poings, visiblement prête à répliquer, mais Livia trouva la force d'intervenir.
« Je suis désolée, » dit-elle, sa voix faible mais sincère. « Je ne voulais pas causer de problèmes. Si... si c'est trop, je partirai. »
Diana se tourna vers elle, horrifiée.
« Ne dis pas ça, Livia. Tu restes ici. »
Elle se tourna à nouveau vers son frère, le défiant du regard.
« Et toi, Alexander, si tu n'es pas d'accord, je trouverai un autre endroit pour elle. Mais je ne l'abandonnerai pas. »
Un silence tendu s'installa. Alexander sembla peser ses options, ses yeux froids fixant Diana, puis Livia. Enfin, il hocha lentement la tête.
« Très bien. Mais je veux des explications demain matin. »
Il tourna les talons et remonta l'escalier sans un mot de plus, ses pas résonnant sur le bois.
Diana poussa un soupir de soulagement avant de s'agenouiller devant Livia, prenant ses mains glacées dans les siennes.
« Ne t'inquiète pas pour lui. Il est toujours comme ça au début, mais il finira par s'adoucir. »
Livia hocha la tête, bien qu'une part d'elle doutât sérieusement de cette possibilité.
Diana l'aida à se lever et l'accompagna jusqu'à une chambre à l'étage. La pièce était chaleureuse, avec un grand lit recouvert de draps impeccables et une cheminée qui crépitait doucement.
« Tu vas dormir ici ce soir, » dit Diana en allumant une lampe de chevet. « Prends une douche chaude, je vais te trouver des vêtements secs. »
Livia murmura un faible « merci », les larmes aux yeux. Diana la prit brièvement dans ses bras avant de sortir de la pièce.
Livia resta un moment immobile, laissant la chaleur de la pièce et l'apaisement relatif du moment la submerger. Elle savait que ce n'était qu'un répit temporaire. Le danger qui la poursuivait n'avait pas disparu. Mais pour la première fois depuis des jours, elle se sentit un peu moins seule.
Elle se dirigea vers la salle de bain attenante, alluma l'eau chaude, et laissa la vapeur remplir l'espace. En se déshabillant, elle vit les ecchymoses sur ses bras et ses jambes, des souvenirs vivants de ce qu'elle fuyait.
Sous le jet brûlant de la douche, elle pleura en silence, ses larmes se mêlant à l'eau. Mais une pensée persistait : quoi qu'il arrive, elle devait survivre. Pas seulement pour elle, mais pour tous ceux qui comptaient encore sur elle.