Il incarnait le pouvoir. Chaque geste qu'il faisait semblait calculé, chaque sourire un outil pour renforcer son emprise sur son empire.
Il était vêtu de son costume noir sur-mesure, une montre en or accrochée à son poignet, symbole de son succès. Rien ne lui échappait, ni dans le monde des affaires ni dans cette soirée. Son empire touchait à tout – immobilier, technologies de pointe, mode. Il n'y avait pas un seul secteur où il n'avait pas laissé son empreinte. Ses employés le respectaient, ses partenaires l'admiraient, et ses ennemis... ils le craignaient.
Vincent aimait cette position de force. Cela lui donnait un sentiment d'invulnérabilité. Tandis qu'il portait son verre de champagne à ses lèvres, il croisa le regard de sa fille, Camille, qui, à l'autre bout de la salle, discutait avec des investisseurs étrangers. Son regard se posa un moment sur elle, une fierté silencieuse traversant ses traits. Camille était son héritière, sa protégée. Un jour, elle reprendrait les rênes de son empire. Mais pas encore. Pas tant qu'il avait encore tant à accomplir.
Alors que Vincent retournait à ses pensées, un léger malaise lui serra soudain la poitrine. Il fronça les sourcils, tentant de comprendre cette sensation. Il se redressa, portant une main à son cœur. Le malaise grandit, devenant plus intense, et ses jambes faiblirent légèrement sous lui. La salle autour de lui semblait soudain si bruyante, les rires et les conversations un écho lointain. La douleur devint insupportable.
Il voulut appeler à l'aide, mais ses mots se perdirent dans le bruit ambiant. Un vertige le prit, et avant qu'il ne puisse faire un pas de plus, son corps céda. Vincent Delacroix, l'homme qui semblait inébranlable, s'effondra sur le sol. Les invités autour de lui eurent un mouvement de recul, des cris de panique éclatèrent, et en quelques secondes, la soirée qui célébrait la puissance et le succès fut réduite à un chaos de peur.
« Monsieur Delacroix ! Monsieur Delacroix ! » hurla une femme tout en se précipitant à ses côtés, mais son corps restait immobile, son visage livide. En un instant, la vie avait déserté ses yeux.
À l'autre bout de la ville, dans une banlieue délaissée où les lumières du luxe ne brillaient pas, Adrien Lefèvre rentrait chez lui, le pas traînant, ses pensées embrouillées par la journée monotone qu'il venait de passer. Le son régulier de ses chaussures sur le pavé usé était le seul bruit qui l'accompagnait. Une rue après l'autre, les mêmes façades délabrées, les mêmes visages fatigués. Son quotidien n'avait rien de glorieux, loin de l'opulence du centre-ville.
Adrien n'était personne d'important. Il travaillait à la chaîne dans une usine, sa vie réglée comme du papier à musique, sans surprise ni éclat. Les factures s'empilaient, son frigo était à moitié vide, et l'espoir d'un avenir meilleur s'effilochait avec le temps. Pourtant, quelque chose en lui refusait de céder complètement. Il gardait au fond de lui cette petite étincelle, cette conviction qu'il méritait plus que la vie morne qu'il menait.
Alors qu'il approchait de son petit appartement, une lumière vacillante attira son attention depuis l'intérieur du bar voisin. Les écrans de télévision y diffusaient un bulletin d'information spécial, et les images qu'il aperçut au travers de la vitrine le firent s'arrêter net. Un visage familier s'affichait en gros plan. Son visage. Non, pas tout à fait... C'était celui de Vincent Delacroix, cet homme d'affaires célèbre dont tout le monde parlait.
Adrien observa l'écran avec une fascination presque morbide. Les titres défilaient rapidement : « Vincent Delacroix meurt subitement lors d'un gala de charité. » Les journalistes spéculaient déjà sur la cause, tandis que les images montraient des invités choqués et des équipes médicales s'affairant autour du corps de l'homme d'affaires. Un frisson parcourut l'échine d'Adrien. Il se détourna de la vitrine, mais son cœur battait à tout rompre.
Il avait déjà entendu des gens l i »dire qu'il ressemblait à Vincent Delacroix. Dans les transports en commun, parfois dans la rue, cette comparaison revenait. Mais jusqu'à cet instant, ce n'était jamais devenu aussi réel. En le voyant à la télévision, cette ressemblance frappante devenait presque effrayante. Adrien secoua la tête pour chasser cette idée. Il n'était qu'un simple ouvrier. Vincent était un homme de pouvoir, hors de portée, presque irréel. Pourtant, une graine venait d'être plantée dans son esprit.
Rentrant finalement chez lui, Adrien posa ses affaires dans un coin, mais ne pouvait s'empêcher de repenser à ce qu'il venait de voir. L'image du corps inerte de Vincent revenait en boucle dans sa tête. S'il était mort... qu'allait-il se passer ensuite ? Les pensées d'Adrien se bousculaient, confuses. Il alluma la radio pour avoir du bruit en fond, espérant ainsi faire taire ses réflexions, mais chaque chaîne ne parlait que de cela. La mort de Vincent Delacroix venait de secouer le pays.
Sans trop comprendre pourquoi, Adrien se laissa aller à un étrange jeu de l'esprit. Et si... et s'il pouvait prendre sa place ? Après tout, leur ressemblance était si frappante. Personne ne pourrait vraiment le savoir. Il secoua la tête, rejetant cette idée comme une folie. Et pourtant, cette pensée, une fois semée, refusait de disparaître. La possibilité d'une autre vie, d'une échappatoire à sa condition actuelle, s'immisçait en lui comme une tentation irrésistible.
Cette nuit-là, il ne parvint pas à trouver le sommeil. L'image de Vincent, étendu sur ce sol brillant, était gravée dans son esprit. Une vie venait de s'éteindre, mais une autre, la sienne, semblait soudain pleine de possibilités.
Adrien se tenait devant le miroir de sa petite salle de bain, les bras appuyés sur le lavabo écaillé, le regard perdu dans ses propres traits. Il observait attentivement chaque ligne de son visage, chaque ombre, chaque contour, à la recherche de ce qui faisait de lui un homme banal, un ouvrier parmi tant d'autres. Pourtant, quelque chose l'avait frappé depuis la veille, depuis qu'il avait vu le visage de Vincent Delacroix à la télévision, gisant inerte. Ce visage... leur visage. C'était comme s'il se regardait, mais dans une version plus élégante, plus assurée, plus riche. Vincent et lui étaient presque identiques. La différence résidait dans ce que la vie leur avait offert – à l'un, un empire, à l'autre, une vie de misère.
Il passa une main dans ses cheveux, les ébouriffant légèrement. Cette idée, aussi folle soit-elle, continuait de tourner en lui comme une chanson qu'on ne parvient pas à oublier. *Et si je pouvais être lui, ne serait-ce qu'un instant ?* Adrien ferma les yeux, imaginant ce que cela pourrait représenter. Des voitures de luxe, des voyages dans des endroits exotiques, des affaires qui se signent d'un claquement de doigts, le respect et la crainte des autres. Tout ce qu'il n'avait jamais eu, tout ce dont il avait secrètement rêvé, même s'il ne l'admettrait jamais. Mais le rêve, aussi brillant soit-il, portait avec lui des ombres. Qu'arriverait-il si quelqu'un le découvrait ? Et comment faire pour entrer dans ce monde sans que
tout ne s'effondre aussitôt ?