Les évènements sont comme les trapèzes : il y a une coïncidence et une seule qui permet de passer de l'un à l'autre
René-Salvator Catta
Notre objectif n'est pas ce qui se voit, mais ce qui ne se voit pas.
Saint Paul
Prologue
Makhtesch Ramon – Désert du Néguev – Israël
Le 4X4 dévale la pente au milieu du sublime panorama minéral. Au volant, Eliezer Hirscher, grande carcasse barbue, 68 ans d'âge, pilote. C'est son territoire, l'endroit où il a grandi. Le plus grand cratère géologique connu au monde. Quarante kilomètres d'un côté, neuf de l'autre. Il habite sur les hauteurs, à Mitspé Ramon, et, comme souvent, prend sa voiture pour descendre dans ces entrailles rocailleuses, 500 mètres plus bas. Pas pour l'inlassable plaisir à parcourir ce paysage désertique, sillonné par les escadres de touristes, pas si nombreuses en fait. Dans cette région aride du sud du pays ne viennent qu'une minorité de visiteurs, beaucoup se limitant à Jérusalem et la région du lac de Tibériade ou de la mer Morte.
La descente est par endroits vertigineuse. Mais Eliezer a l'esprit ailleurs, prenant les virages par automatisme. Il se souvient de ces clients insistants, pénibles même. Revenus à la charge une semaine auparavant. Comme s'il n'avait pas assez à faire avec ceux uniquement préoccupés par la qualité de service de son hôtel. Et aussi ce travail d'appoint qui peut lui faire courir des risques.
Pendant ce temps-là, le 4X4 prend de la vitesse. Il ne faudrait pas trop. Histoire d'éviter une gazelle ou un bouquetin nubien qui pourraient surgir sur la route soudainement. Oui, décidément ce couple de touristes est à oublier au plus vite.
Il vaudrait mieux se concentrer sur sa conduite et sur ces autres clients qui sont en difficulté avec leur voiture et qu'il s'est proposé de venir chercher. « Tu es trop bon Eliezer », disait toujours sa femme.
Le soleil tape fort en cette journée de fin octobre, pas un nuage pour l'obscurcir.
Il a du mal à éviter un camping-car qui croise sa route. Sueurs froides.
Pas la peine de se précipiter. C'est dangereux ici.
C'est alors qu'il prend subitement conscience que son véhicule est en passe de lui échapper. Pour se rassurer, il décide d'appuyer davantage sur la pédale de frein. Sans que le résultat soit à la hauteur attendue, alors que la pente est encore raide et que se profile une série de virages.
Il faut s'arrêter. Voir ce qui ne va pas.
Mais la route est trop étroite à cet endroit.
Le paysage s'accélère derrière les vitres, sans qu'il puisse le ralentir
Il est profond le ravin surplombé par la chaussée. Il ne lui laisserait aucune chance.