Personne ! Toute petite, elle venait y lire des romans de gare sentimentaux ; de ceux qui finissent toujours bien. « L'eau de rose », elle n'aimait pas l'expression, le parfum non plus d'ailleurs ! Et que dire des roses sinon qu'elle les avait en horreur depuis ce jour où... ! (lointain souvenir, enfin bref, elle n'était pas là pour rêver).
Charlotte n'était pas une fille de la campagne mais ce petit matin dans les sous-bois, cette brume qui s'élevait à la caresse des premiers rayons lui donnaient la sensation d'être sur un petit nuage. Elle ouvrit sa vitre et passa la tête pour ne pas rouler dans l'ornière qui se présentait sur le côté. Surtout ne pas s'embourber sinon elle serait mal, pas besoin de ça, ni maintenant ni jamais.
Elle avançait doucement, mais d'une main ferme. Faire le moins de bruit possible et laisser la nature couvrir le ronronnement du moteur !
Ça tombait bien, l'éveil des oiseaux et peut-être quelques parades amoureuses offraient à souhait un joyeux tohu-bohu qui contrastait avec le silence régnant dans la voiture.
Elle était arrivée.
Les lieux avaient peu changé depuis ce jour de juin où elle était venue avec Grégory. Venue, le mot était faible. Elle l'avait attiré ici, traîné plutôt en lui faisant promettre de ne jamais révéler l'endroit.
En s'asseyant au pied d'un arbre, un bouleau, il sortit son canif, cadeau de Charlotte pour son anniversaire, et entreprit de graver un cœur avec leurs initiales.
- Sous ce chêne, je promets de t'aimer toujours ! murmura-t-il à Charlotte
- C'est pas un chêne, c'est un bouleau, mon petit père ! le reprit-elle avec une pointe d'ironie et un sourire taquin.
- Pas grave, je t'aime quand même ! répliqua-t-il !
Elle se blottit alors dans ses bras ! Elle se sentait bien. Mais ses 16 ans étaient demandeurs d'un peu plus et ce n'était pas pour rien qu'elle l'avait attiré ici. Le matin, sa toilette avait été un peu plus longue que d'habitude et sa main dans la baignoire avait approfondi une caresse sur un endroit qu'il la pressait de voir disparaître.
La petite fille qu'elle était hier n'était plus. Sa chair s'animait, un désir animal la tenaillait.
Aujourd'hui serait le GRAND JOUR ! Et ce serait avec Grégory, et personne d'autre. De beaux dessous, achetés à l'insu de sa mère, un parfum de rose, et un corsage qui promettait de ne pas être sage longtemps. Elle se sentait prête à se donner !
Tendrement, elle embrassa Gregory, leurs lèvres s'unirent, l'avenir s'annonçait radieux.
Cependant, Gregory semblait tout d'un coup plus nerveux, sur la défensive. Il essayait de masquer son trouble mais n'y parvint pas. C'était pour lui aussi la première fois, Charlotte l'ignorait (il s'était tant vanté de ses belles fortunes).
Maladroit, il déchira le beau corsage blanc ! Et Charlotte se prit à lui dire : « en parlant de chêne, tu t'y prends comme un gland » (espérant détendre l'atmosphère).
Gregory, au contraire, se crispa et se releva.
D'amoureux, ce jour-là, il passa au rang de meilleur ami et confident.
Une ombre passa dans le regard de Charlotte.
Elle soupira en pensant à ce qu'aurait pu être sa vie sans cette pique malheureuse. Elle chercha du regard le bouleau où le cœur avait été gravé. Il avait bien grandi, cet arbre, et elle dut se hisser sur la pointe des pieds pour pouvoir caresser le cœur et le débarrasser de la mousse qui en cachait les contours.
15 ans étaient passés.
Charlotte se retourna, une branche craqua. Un animal, sans doute un chevreuil, détala. Charlotte sourit de sa propre peur.
La vie lui avait appris à surmonter ses démons.
Le temps n'était plus à la nostalgie mais à l'action. Charlotte rejoignit sa voiture et ouvrit le coffre.
Le corps était là. Comment aurait-il pu en être autrement ?