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Emprise

Emprise

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Résumé

Table des matières

Résumé étymologique Emprise n.f. (du latin, prehendere, saisir): Domination morale, intellectuelle; ascendant. Avoir de l'emprise sur quelqu'un. ****** « Personne ne quitte sa maison A moins que ta maison ne chuchote grassement à ton oreille Pars Fuis-moi Je ne sais pas ce que je suis devenue Mais je sais que n'importe où Vaut mieux qu'ici » « Le bien peut être radical. Le mal n'est jamais radical : il ne peut être qu'extrême. Parce qu'il ne possède aucune profondeur, ni dimension démoniaque pourtant – et c'est là que réside son horreur, il est capable de se propager tel un champignon sur la surface de la terre et dévaster le monde entier. Le mal naît de l'incapacité à penser. Il défie la pensée aussitôt que celle-ci tente de s'engager dans l'examen des prémices et principes dont il est issu. La pensée se retrouve alors frustrée car elle ne trouve rien. C'est là que réside la banalité du mal. »

Chapitre 1 Chapitre 1 -Araceli

- Hé, beauté !

Par pitié, non !

Je frotte énergiquement la choppe que j'ai entre les mains. Personne ne viendra me reprocher de ne pas nettoyer correctement mes verres ! Occupée comme je suis, ce lourdaud va bien finir par se rendre compte que je ne veux pas lui parler.

- C'est à toi que je parle !

Si seulement il pouvait disparaître ! Je ne peux même pas feindre de ne pas l'avoir entendu.

El Carretero du Buena Vista Social Club est diffusée à fond dans la salle. En temps normal, le son de la guitare m'apaise mais ce n'est pas le cas ce soir. Avec tous les ivrognes qui n'arrêtent pas de gueuler, j'ai l'impression que ma tête va exploser. Voilà pourquoi je déteste l'alcool : il possède la capacité de lever les inhibitions des personnes qui le consomment, au point de les pousser à des actes stupides voir dangereux. Il n'y a qu'à regarder ce groupe installé non loin du bar : la bande encourage l'un d'entre eux à boire cul sec une bouteille entière de Tequila alors que le type tient à peine sur ses jambes !

Ce matin je me suis réveillée la gorge nouée par l'angoisse et les épaules raides. Je pensais qu'une fois la journée entamée, je me sentirais mieux. Les choses ne se sont pas passées comme prévues : mon dos me fait un mal de chien tant je suis tendue. Ajoutez à ça une migraine biscornue apparue en début d'après-midi et vous obtenez une jeune femme fatiguée qui a la dalle. Le genre de faim qui vous donne l'impression que vos intestins vont tomber en miettes à force de se tordre.

Alors ce type qui cherche à attirer mon attention, c'est plus que je ne peux supporter. Je n'aspire qu'au silence et à la tranquillité de mon appartement. Vivement que mon service prenne fin !

- Tu es sourde ou quoi ? beugle-t-il.

Réprimant un soupire d'agacement, je plaque un sourire factice sur mes lèvres et lui fais face. Qu'on en finisse au plus vite.

Avec ses yeux injectés de sang et ses gestes imprécis, il m'a l'air bien soûl ! Je devrais lui appeler un taxi, qu'il aille cuver ailleurs... Mais la dernière fois que j'ai été aussi gentille envers un client, José -le gérant- m'a clairement fait comprendre que je jouais ma place. Et comme j'ai besoin de ce travail plus que de savoir si les hommes à qui je sers de l'alcool rentrent sains et saufs chez eux, j'obéis aux ordres du patron.

- Buenas tardes Señor, en quoi puis-je vous aider ? je lui demande avec tout l'amabilité dont je suis capable après une si longue journée de travail.

Clarissa la fille avec qui je partage le service du bar ce soir me lance un regard mi-compatissant, mi-moqueur. Elle fera moins la maligne lorsque ça sera son tour. Ce n'est qu'une question de temps, avec tous les poireaux qui suivent le moindre de ses mouvements.

- Tu as un accent, dit mon ivrogne d'une voix pâteuse.

Sans blague !

- Tu n'es pas du coin ma jolie ?

Lorsqu'il sourit, je découvre les dents – devrais-je dire les chicots – qui lui restent en bouche. C'est répugnant.

- Je viens du Sud.

Inutile de le nier. Même si je peux prendre sans problème l'accent yankee*, je préfère largement les consonances du Sud. Elles me rappellent la maison. Un endroit où je ne suis plus la bienvenue.

Cet accent est l'une des rares choses qu'il me reste de ma vie d'avant.

- Je viens du Nouveau Mexique, je confie à l'ivrogne.

Ce qui est un mensonge : je suis texane.

- Ah, d'accord ! Mais...

Les deux neurones qu'il lui reste semblent en plein effort pour lui trouver quelque chose à dire. C'est aussi triste qu'agaçant. Je ne supporte définitivement pas les ivrognes !

Il y a des jours comme ça où devoir taper la discussion avec les clients me donne des envies de meurtre. Tandis que monsieur j'ai-trop-bu cherche toujours un truc à dire, je pense à mes pieds comprimés dans les escarpins que je suis obligée de me farcir. Ces chaussures sont censées galber ma silhouette et me faire gagner des centimètres – ce sont-là les mots de José. Or je vis un enfer à cause d'elles ! Au point que je suis obligée de me dandiner d'un pied à l'autre afin de soulager la douleur. Ça ne m'étonnerait pas de retrouver mes pieds couverts de cloques, une fois que je pourrai retirer ces horreurs.

Elles font un mal de chien !

- ... Mais, continue l'homme comme s'il ne venait pas de s'écouler plus d'une éternité depuis sa dernière phrase. Qu'est-ce qu'une fille du Sud vient faire à Chicago ?

Excellente question Watson !

- Je voulais changer d'air, voir du pays, je réponds tout en servant le client assis à ses côtés.

Il passe une main aux doigts boudinés sur sa calvitie naissante.

- J'ai vécu quelques temps dans le Nouveau-Mexique lorsque je suis arrivé aux Etats-Unis, me raconte-t-il en piochant dans le bol de cacahuètes posé devant lui. Cet endroit n'a de mexicain que le nom : tout là-bas respire le gringo*... Comme partout dans ce pays !

L'alcool rend son anglais approximatif. Alors qu'il me raconte comment il a quitté son Mexique natal pour le rêve américain, je fais semblant d'écouter.

Comme je fais pour supporter ça toutes les nuits ? Oh bien sûr, les clients ne sont presque jamais les mêmes et les histoires diffèrent quelque peu : il m'est même arrivé d'entendre des récits de parcours hors normes ! Mais dans l'ensemble, c'est toujours la même chose.

Normal me diriez-vous, je travaille dans un bar qui se targue d'être un point de rassemblement de la communauté Latina de Chicago. La Chiquita. La petite. Un nom assez ironique quand on sait que j'atteins à peine 1m58...

Voilà six mois que je trime dans ce bar. Et j'en ai entendu des histoires !

Six mois durant lesquels j'ai eu le temps de me familiariser avec les habitudes des clients, au point de passer maître dans l'art de parler le Spanglish : ce mélange atypique d'anglais et d'espagnol que tout le monde utilise ici.

A la fin de son récit, monsieur j'ai-trop-bu essaie d'obtenir mon numéro de téléphone. Comme beaucoup avant lui.

- Lo siento señor : je n'ai pas le droit de donner mon numéro aux clients.

- C'est dommage, dit-il d'un air penaud.

- En effet.

Pour l'empêcher d'insister, je lui propose un autre verre qu'il accepte avec un grognement d'approbation. Je m'empresse donc de remplir sa chope.

- Tu ne t'en es pas si mal tiré, me lance Clarissa en passant à côté de moi.

Alors que ma tenue censée évoquer une danseuse de salsa me va comme à une gamine qui aurait piqué les fringues de sa mère, les courbes affolantes de Clarissa sont quant à elles mises en valeur, conférant une certaine grâce au satin de mauvaise qualité qui lui colle à la peau.

A côté d'elle, j'ai l'air chétive ! Rachitique même... Bonjour les complexes !

- Merci, je réplique en levant les yeux au ciel.

Et cette maudite fleur accrochée à mes cheveux qui n'arrête pas de me démanger la tempe !

Vivement que je parte d'ici !

*

Il n'y a pas à dire : rien ne vaut le confort d'une bonne paire de baskets. Malgré mon budget serré je m'achète toujours les meilleures. C'est mon péché mignon.

J'enfile mon manteau par-dessus ma robe de service jaune moutarde et range mes chaussures à talons dans mon sac fourre-tout. Je retire la stupide fleur que je me suis trimbalée toute la soirée, puis secoue ma tignasse.

Quelques mèches aux boucles serrées me retombent devant les yeux.

Clarissa déambule simplement vêtue d'une culotte en dentelle, tout en discutant avec les autres serveuses.

Qu'est-ce qu'elle a de beaux seins, la garce !

Dans une autre vie, j'étais une fille comme elle : jeune étudiante travaillant dans un bar pour s'offrir quelques extras, entourée d'une ribambelle de copines avec qui je faisais la fête presque tous les soirs. Je n'ai plus rien de tout ça.

Arrête de ressasser le passé !

En effet, je n'ai pas à me remémorer tout ce que j'ai perdu. C'est du passé. Et le passé doit impérativement rester derrière moi. Je n'ai pas le droit d'être nostalgique car ce que je suis en train de vivre, je le mérite. C'est la punition pour tout ce que j'ai fait.

- A demain les filles, je leur lance en quittant les vestiaires.

- A demain, répondent-t-elles.

- Tu es sûre que tu ne veux pas venir avec nous ?

Clarissa a eu l'idée d'une sortie en boîte entre filles. Une invitation que je me suis dépêchée de décliner.

- Une autre fois.

- Tu dis toujours ça ! Il y a autre chose que ton appartement et ton boulot dans cette ville, me taquine-t-elle en enfilant une robe ultramoulante qui couvre à peine ses fesses.

Une fois sa robe en place, Clarissa se met à coiffer ses longs cheveux bruns à l'aide de ses doigts.

- Je suis vraiment crevée aujourd'hui. Et mes pieds me font un mal de chien, je me justifie.

- On croirait entendre une petite vieille, lance une autre fille.

Nous éclatons toutes de rire.

Je n'ai que quelques années de plus qu'elles. Mais pour ma tranquillité d'esprit et pour éviter les questions embarrassantes, je leur ai aussi menti sur mon âge. Pour ces filles, j'ai dans le début de la vingtaine.

- A demain les filles ! Et ne vous amusez pas trop sans moi !

Puis je m'en vais.

En empruntant la porte de service, je n'aurai qu'à marcher quelques minutes avant de tomber sur la grande avenue. De là, je prendrai le bus qui me ramène chaque soir chez moi. Je pourrais tout aussi bien sortir par l'entrée principale du bar et prendre le métro mais ça rallongerait mon trajet.

Voilà pourquoi il me faut une voiture : je ne dépendrai plus des transports en commun. A quelques rues de mon appartement, j'ai remarqué une petite Ford avec le panneau « à vendre » collé sur le pare-brise. Seulement tout l'argent que je gagne, je le mets de côté au cas où l'impensable viendrait à se produire... Donc la nécessité d'une voiture se heurte à la peur qui m'habite depuis quatre ans. Résultat des courses, je me retrouve à emprunter le bus à deux heures du matin.

Une fois hors du bâtiment, je lance mon lecteur mp3 et me dépêche de traverser la ruelle. Next to me d'Emeli Sandé se met à jouer.

Nous disposons de trois longs mois avant l'arrivée de l'hiver mais le vent froid venu du Canada annonce déjà un hiver glacial.

Nouveau point sur ma liste de course : acheter un manteau. Celui que je porte depuis l'hiver dernier tombe déjà en lambeaux. Je vais être obligée de dépenser un peu plus pour avoir une veste qui tienne tout l'hiver...

Ce n'est que lorsque la chanson s'achève que j'entends les bruits de pas derrière moi.

Soudain, mon cœur se met à battre plus vite.

Calme-toi, Lili !

Je ne suis pas la seule à emprunter cette ruelle. Beaucoup d'employés de La Chiquita font la même chose.

Néanmoins, j'accélère le pas, tandis que les poils de ma nuque se dressent.

- Mademoiselle Grant ?

Je pile net.

Voilà deux ans que personne ne m'avait appelé comme ça... Ça ne peut signifier qu'une chose.

Je me mets à courir.

« Elle s'enfuit ! » j'entends l'homme crier derrière moi.

Oh mon Dieu... Ça ne peut pas se reproduire ! Pas maintenant !

Alors que mes écouteurs glissent de mes oreilles, j'entends clairement ses pas marteler le bitume derrière moi. J'accélère alors le rythme.

Il faut que je réussisse à le semer. Il le faut à tout prix !

Brusquement, des bras puissants me coupent dans mon élan. La seconde d'après, une main se plaque violemment contre ma bouche.

Non !

Je me débats comme un diable et tente à mon assaillant donner des coups de tête et de pieds. Mon sac me glisse des mains et avec lui, la chance d'utiliser la bombe lacrymogène qui ne me quitte jamais.

- Calmez-vous ! m'ordonne-t-il en me secouant.

Mes dents s'entrechoquent, puis le goût du sang se répand dans ma bouche.

Je panique complètement... Je vois un autre homme sortir de l'ombre et ramasser le contenu de mon sac.

Non. Non. NON!

L'homme se met à me traîner vers la grande avenue. Avant de quitter la ruelle, il me repose à terre.

- Ne tentez pas de vous enfuir !

Contre mes côtes, je sens le canon de son arme.

Un troisième homme vêtu d'un costume sombre nous rejoint.

Pitié !

Tous les quatre, nous longeons l'avenue. Personne ne semble prêter attention à notre étrange groupe.

Je suis complètement tétanisée par la peur.

Lorsque je vois le 4*4 aux vitres teintées garé à l'intersection, je tente à nouveau de fuir mais ils me tiennent si bien que je n'ai plus aucune issue.

Si je monte dans ce véhicule, tout ce pourquoi j'ai lutté ces deux dernières années sera réduit à néant !

Je ne peux pas les laisser m'emmener !

- Arrêtez de gesticuler ! m'ordonne celui qui me menace de l'arme qu'il a dissimulée.

Je refuse d'avancer : il en est hors de question !

Malgré mes efforts, ils me soulèvent de terre comme si je ne pesais rien.

Seigneur, Ayez pitié de moi...

Si j'entre dans ce véhicule, il en sera fini de moi. Je ne pourrai pas leur échapper. Pas une troisième fois.

Une terreur sans nom m'envahit. Une peur viscérale comme je n'en avais pas éprouvée depuis des années. Les gorilles me poussent dans le véhicule de force puis referment la portière dans un claquement violent.

- Bonsoir Araceli. Tu ne peux pas imaginer combien je suis heureux de te revoir.

Mon sang se glace. Tel un automate, je lève les yeux vers l'homme qui a détruit ma vie.

- Kale...

°°°

Le mot Yankee était utilisé au départ pour désigner les habitants de la Nouvelle-Angleterre, descendants des colons néerlandais. Les origines de ce mot restent floues à ce jour. Néanmoins deux hypothèses permettent de mieux en comprendre l'histoire. Dans la première hypothèse yankee dériverait du nom « Janke » qui équivaut en français à « Jean » (le J se prononçant Y en néerlandais). Ce nom peut tout aussi bien être un patronyme qu'un prénom. Dans la seconde hypothèse le mot aurait une origine amérindienne : en langue Cherokee, eankke signifie lâche.

Au fil du temps, le mot a revêtu plusieurs significations : dans le sens dont il est employé dans l'histoire, il fait référence aux tensions qui ont divisés les Etats-Unis durant la Guerre de Sécession. En effet, les confédérés du Sud l'utilisaient pour désigner (péjorativement) les abolitionnistes du Nord. Il faut savoir qu'à l'étranger, ce mot désigne familièrement les américains peu importe leur Etat d'origine. Autre info ludique, lorsque l'on parle de « Yankees » aux Etats-Unis on fait aussi référence au New-York Yankees, l'équipe de baseball de la ville éponyme.

Gringo est un mot argotique péjoratif utilisé aussi bien en espagnol qu'en portugais pour qualifier les étrangers (de manière plus général ceux qui ne parle ni espagnol, ni portugais). Particulièrement en Amérique latine où il désigne les « américains ».

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