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RÉSILIENCE

RÉSILIENCE

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Résumé

Table des matières

Je m’appelle Bex et j’ai une théorie sur la souffrance. Une théorie qui peut remettre en question tout ce que vous avez appris par le passé. Lorsque tout ce à quoi vous teniez s’effondre, lorsque la confiance se brise et que les masques tombent, le venin létal de la rancoeur apparaît. Il barricade vos pensées, cloisonne vos maux, endort votre conscience. Le cœur s’ankylose, la révolte gronde. Vous feintez la raison, bravez l’inévitable et rejetez l’évidence. Je n’avais plus rien à donner, plus rien a offrir. La haine était devenue mon bouclier et la méchanceté ma force. Sauf que... putain d’idiote...

Chapitre 1 Sergent Jacobs

SAHEL - base militaire américaine du Tchad - octobre 2017

Assis à l'ombre d'un humvee en train de me griller une clope, je regardai l'autre empoté de Danny qui tentait de se dépétrer à remonter son M16 après l'avoir piètrement nettoyer. Ce mec-là avait deux mains gauches, un vrai boulet. À se demander comment il avait fait pour ne pas se coller une balle tout seul.

Je l'observai, amusé.

J'aurai pu l'aider mais l'idée de lever mon cul ne m'enchantait pas des masses. En clair, ça m'faisait chier.

Il était évident que ce gars n'était pas à sa place ici. Un fils à papa en mal de sensations fortes qui se pissait limite dessus à chaque mission où il était affecté. La seule fois où il nous avait été utile, c'était lorsqu'on avait dû arrêter le blindé en urgence pour qu'il puisse gerber son p'tit déj. Le véhicule qu'on suivait sauta sur une mine et nous, on pouvait dire qu'on l'avait échappé belle.

Ça m'emmerdait de l'avouer mais sur ce coup, sans le vouloir, il nous avait sauvé la tête. Malgré tout, il me faisait presque pitié à galérer comme un crétin. Je soupirai puis décidai de me lever avant d'avancer vers lui. Je lui pris son fusil d'assaut des mains sous son regard ahuri et après deux trois manipulations, finis de l'assembler.

—T'avais mis l'interne du sélecteur de tir à l'envers, je luis dis en lui rendant son arme.

—Oh... Je vois. Merci, Bex. J'veux dire... Sergent Jacobs.

Après un bref hochement de tête, je jetai mon mégot et m'adossai au mur de la réserve, bras croisés.

—Qu'est-ce qu'un type comme toi fout ici, Danny ? J'veux dire, on va pas se mentir, tu fais un peu tache dans le décor. T'as pas vraiment l'allure d'un soldat.

Celui-ci haussa les épaules puis passa une main sur sa nuque, l'air résolu.

—Mon père était militaire, mon grand-père était militaire et...

—Et comme t'es un abruti, tu t'es dit que t'allais faire ça aussi. Ok, j'ai saisis.

Il releva son visage vers moi, pantois.

—C'est un peu ça, mais pas que.

Il posa son M16 sur la caisse à sa gauche et prit une lourde inspiration en enfonçant les mains dans les poches de son treillis, qui cela dit en passant était deux fois trop grand pour lui.

—Je suis fils unique, enchaîna-t-il. Dans ma famille, l'armée c'est un peu comme une religion. Mon grand-père était colonel dans les forces spéciales et mon père a également suivit cette voie, marchant dans ses pas avec brio. Ils comptaient sur moi pour perpétuer la tradition et je ne voulais pas les décevoir, je voulais qu'ils soient fiers de moi... Vous comprenez ?

—Nan.

Ses épaules s'affaissèrent et il soupira bruyamment.

—Nan, j'pige pas, continuai-je. J'crois pas que le fait de rentrer au pays entre quatre planches de bois soit la meilleure option pour t'attirer les grâces de ton paternel. Parce que sans vouloir casser ton délire, ça te pend au nez si tu restes ici.

Il me lança un regard contrit, les lèvres pincées.

Putain, il manquerait plus qu'il se mette à chialer maintenant.

—Et vous, sergent Jacobs. Pourquoi vous êtes là, dans l'armée ?

Je plissai le regard devant la question de ce p'tit con. Voilà pourquoi en temps normal j'aimais pas parler. Ça évitait aux p'tits curieux dans son genre de fourrer leur nez dans des histoires qui ne les regardaient pas.

—Pour vous aussi c'était une évidence, une vocation de porter l'uniforme ? insista-t-il.

Je ricanai.

Cet imbécile commençait sérieusement à m'les briser. Non seulement il n'avait rien capté à ce que je venais de lui dire, mais en plus de ça son air de Calimero ignare avait la fâcheuse tendance à m'faire serrer. J'allai vite lui faire comprendre et par la même occasion, le faire redescendre.

—C'était ça ou la cabane.

Il afficha une mine perplexe.

—La taule, si tu préfères.

Ses yeux s'écarquillèrent tandis qu'il me dévisagea, complètement à la ramasse.

—Pour ... pour quel motif, si c'est pas trop indiscret, sergent ?

Ton indiscrétion a pris effet à ta première question, crétin.

Je me décollai alors du mur et fis un pas vers lui, les mains dans les poches. Un rictus sournois aux lèvres, je le toisai. Je laissai passer quelques secondes pendant qu'il se ratatina sur lui-même.

—Meurtre.

Il se décomposa.

Sa bouche s'ouvrit à s'en décrocher la mâchoire.

Je jubilai.

—D'autres questions ?

Il balança sa tête de droite à gauche plusieurs fois puis détourna les yeux sans qu'aucun son ne sorte de sa bouche.

Parfait.

Maintenant, il y réfléchira peut-être à deux fois avant de se montrer trop intrusif. Ma patience avait atteint ses piètres limites. Je décidai de tourner les talons et de le laisser cogiter là-dessus lorsque une voix m'interpella.

—Sergent Jacobs !

Mon visage se tourna dans sa direction et une grimace de contrariété vint rapidement le déformer.

Lopez...

Le genre typique de gars que je pouvais pas me blairer. Débile, fier mais par-dessus tout, piaillard comme pas possible. Ce mec-là était capable de vous déballer un speech de trois kilomètres en moins d'une minute, de vous raconter comment il avait sauté sa dernière conquête sans négliger le moindre détail.

Comme si j'en avais quelque chose à foutre...

Blasé, je le regardai accourir vers moi à grandes enjambées. Je sentais les nœuds au cerveau arriver.

—Sergent Jacobs, le commandant Davis veut vous voir dans son bureau.

Je fronçai les sourcils.

—Il t'a dit pourquoi ?

Il me répondit par la négative et resta planté devant moi, certainement prêt à me déblatérer une de ses conneries.

J'étais pas d'humeur.

—Va jouer ailleurs, Lopez.

J'amorçai un pas pour m'éloigner avant de lui en coller une pour effacer son air de couillon imprimé sur sa gueule. Arrivé dans le bâtiment principal, j'empruntai le couloir de gauche qui débouchait sur l'espace réservé aux officiers supérieurs. La pièce était sombre, froide, sans âme. Un peu comme la démence qui régnait ici, au Sahel. Personnellement, ça ne me dérangeait pas. À vrai dire, je m'y sentais même à ma place.

Pas besoin de paraître.

Je faisais mon job et on me foutait la paix.

Bon deal.

Je frappai trois fois contre la porte métallique et l'ouvris. Les politesses et la civilité, ça m'emmerdait. Le commandant était face à la fenêtre. Dos à moi, mains jointes derrière lui, il se retourna à ma présence.

—Asseyez-vous.

J'obtempérai avec indolence à son ton neutre mais néanmoins directif , puis sortis mon paquet de clopes ce qui le fit souffler d'agacement.

Rien à foutre.

Déballe ton discours, le vieux. Qu'on en finisse.

Placé derrière son bureau, il posa ses coudes sur ce dernier et m'étudia d'un air qui je le savais, allait me faire vriller si il s'avérait qu'il dure trop longtemps. Ennuyé, il se gratta le menton et s'appuya à son dossier.

—Je ne vais y aller par quatre chemins, sergent Jacobs. J'ai été informé tôt ce matin du décès de votre père. Vous n'êtes pas sans savoir qu'avant d'être un excellent soldat, il était avant tout mon ami. Un ami proche.

Je ne répondis pas.

Même si une pointe vicieuse remplie de haine avait refait surface dans ma gorge, mon cerveau, lui, avait court-circuité. Et ça, c'était pas bon signe. Le pétage de plombs pointait à l'horizon.

Je repris une taffe de nicotine et me levai.

—Où allez-vous ?

—Sauf votre respect, mon commandant, tout ceci ne me concerne plus.

Je contournai le fauteuil et me dirigeai vers la sortie sans un regard de plus pour lui. Il fallait que je sorte au risque de disjoncter un peu plus.

—Nous n'en n'avons pas terminé, sergent Jacobs !

—Moi, si.

—BEX !

La main sur la poignée prêt à me barrer, je m'immobilisai. Lentement, je me retournai et découvris qu'il s'était avancé.

Il me faisait face.

—Écoute, Bex. Les obsèques de ton père auront lieu dans trois jours, je pense qu'il serait judicieux que tu t'y rendes.

Il ferma les yeux un bref instant puis posa une main sur mon épaule.

—Tu crois pas qu'il serait temps de faire table rase du passé ? poursuivit-t-il.

Mes poings se serrèrent, ma mâchoire se contracta davantage et ma respiration devint bruyante. Je fis un pas et me dégageai par la même occasion de son geste. Plus que quelques centimètres nous séparaient. Avec un rictus et une aversion non dissimulée dans les yeux, je le considérai.

—Je n'ai rien à foutre là-bas, mon commandant.

Le vieux soutenait mon regard. Il en n'avait strictement rien à carrer de ce que je venais de lui balancer.

J'allais serrer.

—Au contraire, mon garçon. Je crois que ta place est là-bas, auprès de ton père.

—Vous ne pouvez pas m'y obliger, ma place est ici et vous l'savez. Je suis votre meilleur élément. Les rebelles sont aux portes du Mali, ça serait de la pure inconscience de m'enlever de la mission.

—C'est vrai, tu es un très bon élément. Mais tu n'es pas irremplaçable, dit-il en retournant derrière son bureau. Ma décision est prise. Une patrouille te déposera demain à la première heure sur N'Djamena. Tu as un vol pour Vegas à sept heures et c'est non négociable.

J'allais devenir dingue.

Il pensait me connaître mais il se méprenait totalement. Il venait de déboucher une brèche qui flirtait vicieusement entre l'aliénation et l'imprudence.

Et j'allais me faire une joie de m'y engouffrer.

Rageux, je lui lançai un dernier regard assassin avant d'ouvrir violemment la porte.

—Vois ça comme une faveur que je te fais, Bex.

Un rire sonnant diablement faux m'échappa.

Une faveur ? Nan.

Une folie.

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