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Danser avec toi

Danser avec toi

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Résumé

Table des matières

Thaïs a 19 ans. A la fac, elle rencontre Sourou qui reprend ses études. Dix ans les séparent. Elle est réservée et a soif d'indépendance, lui est monté sur ressorts et cherche désespérément un point d'ancrage. Lorsque survient l'étincelle, la passion est dévorante, mais c'est une valse hésitation qui commence.

Chapitre 1 1. Il ne portait pas de pull

Il pleuvait sur Paris. Il pleuvait sans discontinuer depuis la veille. Sous le porche du hall principal, Thaïs observait les volutes de fumée de sa cigarette s'échapper vers la grille, fauchées dans leur course par la pluie. Cette satanée pluie. Le ciel gris.

Thaïs écrasa son mégot dans le cendrier le plus proche en soupirant. D'aussi loin que remontaient ses souvenirs, elle avait toujours fait ses rentrées sous la flotte. Comme si le ciel souhaitait enfoncer le clou, souligner sans subtilité la fin de l'été, de la désinvolture, des divertissements. Fin de la récré, les enfants.

La jeune femme jeta un œil à sa montre, étouffa un bâillement et consulta son tout nouvel emploi du temps, assemblé tel un patchwork depuis les tableaux d'affichage alignés près des amphis. Littérature. Une heure et demie, troisième étage.

D'autres étudiants s'engouffrèrent avec elle à l'intérieur du bâtiment. Thaïs grimpa les escaliers, traversa le couloir jusqu'à la salle de cours, choisit une place centrale, à deux rangs du fond, et attendit. Plongée dans ses réflexions, elle n'accorda pas un regard à ses comparses, pas plus qu'elle ne prêta attention à leurs discussions. Elle songeait à la lettre de motivation qu'elle devait pondre en rentrant. Ses parents l'avaient assurée de leur soutien pour le loyer mais la jeune fille était fière et tenait par-dessus tout à son indépendance ; il lui fallait un job. Seulement voilà : quelle motivation pouvait-on bien avancer quand on postulait à un boulot alimentaire ? Manipuler des pièces sorties de je ne sais où, moi j'adore ! s'imaginait-elle affirmer à un recruteur en secouant ses boucles châtain. J'ai toujours eu envie de jouer du tiroir-caisse, en plus ! Mouais...

Un petit homme maigre à l'air pincé pénétra dans la pièce à son tour – avec cinq minutes de retard, nota Thaïs – et le silence tomba aussitôt sur l'assemblée. L'enseignant déclina son identité, sa fonction, les grandes lignes de son CV puis fit circuler une feuille en demandant aux étudiants d'y inscrire leur nom en vue du contrôle des absences, lors des prochains cours : quiconque sauterait trois séances sans se justifier se verrait recalé. Thaïs releva un sourcil, perplexe : cette règle lui paraissait un brin scolaire pour la fac. En quittant le lycée, elle avait cru en avoir fini avec le maternage.

Son attention déclina pendant la présentation du programme et se reporta sur l'autre sujet passionnant du moment : le rangement de son appartement. Elle n'en avait récupéré les clefs que la veille et, la valse des cartons n'ayant pris fin que tard dans la soirée, seul son lit avait été paré. Thaïs brûlait d'envie d'aménager son premier chez-elle. Elle le voulait adulte, représentatif du nouveau chapitre de sa vie qui s'ouvrait. Alors exit les posters, les photos de vacances avec les potes, les cartes postales des cousins, les...

Ses pensées et l'enseignant s'interrompirent : quelques mètres derrière elle, un toc toc venait de retentir contre une porte que l'étudiante n'avait pas encore remarquée. Toute la salle pivota d'un même mouvement vers le panneau qui timidement s'entrouvrait. De l'autre côté se tenait un jeune homme un peu tassé sur lui-même. Il examinait la salle avec hésitation.

— Pardon, bonjour, bredouilla-t-il en se décidant à entrer.

Il se précipita vers la place disponible la plus proche, à deux chaises de Thaïs. L'enseignant attendit que le nouvel arrivant s'asseye, puis reprit son monologue.

— Une vingtaine d'ouvrages seront à lire et à analyser. Pour ce premier trimestre, il y aura cinq lectures obligatoires – j'y reviendrai en détail dans un instant –, et quatre recommandées.

Le ventre de Thaïs se contracta désagréablement. Si chaque professeur y allait de sa tonne de bouquins dans sa propre matière, son temps libre se réduirait à néant une fois qu'elle travaillerait le week-end.

— Toi qui entres ici, abandonne tout espoir, cita l'étudiante pour elle-même.

Un rire discret retentit près d'elle, la cueillant par surprise. Penché sur sa feuille, un sourire amusé au coin des lèvres, le retardataire prenait note de la bibliographie. Il portait encore son manteau. Un manteau de peau lainée ; un peu lourd pour la saison encore clémente malgré l'humidité.

— Dis adieu à tous tes plans, renchérit le jeune homme sans regarder Thaïs.

Celle-ci sourit tout en récupérant la fiche de présence qu'une fille lui passait, signa le bout de papier et le fit glisser vers son voisin. Lorsque ce dernier tendit le bras pour s'en saisir, elle remarqua qu'il possédait de belles mains, allongées, mais que sa peau couleur café avait un aspect rugueux. Sécheresse cutanée. Pendant un très fugace instant, elle envisagea de lui prêter le tube de crème réparatrice qu’elle emportait partout, mais s'en abstint. Il se vexerait peut-être.

Le restant de la séance se déroula sans autres commentaires. Tout en fixant la fenêtre, l'enseignant énuméra ses exigences quant aux éditions des œuvres obligatoires et précisa ses attentes en matière d'analyse et de compte-rendu. Thaïs, de son côté, se sentit rassurée de surprendre des échanges de regards inquiets entre les étudiants : à l'évidence, d'autres qu'elle ressentaient l'accroissement de la charge de travail par rapport à celle du lycée comme une sorte de grand écart pratiqué sans échauffement. Elle accueillit la fin du cours avec soulagement.

— J'ai besoin d'un café, décréta son voisin en sautant sur ses pieds. Tu en veux un ?

Thaïs dévisagea son interlocuteur avec hébétude.

— Moi ? Euh... Ouais.

Une démonstration d'éloquence éblouissante, songea-t-elle en lui emboîtant le pas.

Le type se révéla difficile à suivre. Il marchait vite et de façon étrangement désordonnée, imprévisible. Comme un papillon, pensa Thaïs. Il s'immisça d'abord dans la conversation de deux filles qui le précédaient hors de la salle, rebondissant joyeusement sur la remarque de l'une d'elles, comme s'il avait tout suivi depuis le début ; ensuite, il s'arrêta pour poser une question à un gars qui sortait du même cours, et repartit, puis revint sur ses pas pour ajouter quelques mots. Par deux fois, Thaïs réalisa qu'il ne la suivait plus et rebroussa chemin alors même que lui la rattrapait, tout sourire, et la dépassait tandis qu'elle se mettait à trottiner pour rester à niveau. Dans la file d'attente de la cafétéria, il attendit son tour en rédigeant des textos, sans cesser un instant de danser d'un pied sur l'autre, puis, le moment venu, demanda à Thaïs ce qu'elle voulait – un cappuccino, merci –, paya la note sans prêter l'oreille à ses protestations, lui colla sa boisson entre les mains et lui fit signe de le suivre dehors.

Thaïs n'aimait pas sa façon d'être. Sa nature introvertie l'incitait à se méfier des gens survoltés, et lui, c'était une pile. Une pile qui la baladait d'un couloir à l'autre depuis maintenant un bon quart d'heure et Thaïs n'appréciait pas qu'on la balade.

— Alors, t'es fan de Dante ? lui demanda son camarade de classe en tirant un paquet de cigarettes de sa poche.

— Non, juste des citations lugubres, répliqua-t-elle en allumant aussi une cigarette.

— Elle était pertinente, en tout cas.

Thaïs ne répondit pas. Elle observait le sol détrempé que seul le soleil inondait à présent et savourait ce retour au calme, après ce qui lui avait fait l'effet d'une course un peu trop folle pour ce qu'elle était.

— Ça fait drôle de revenir ici, reprit le garçon au bout d'un moment, toujours en dansant d'un pied sur l'autre. Je me sens vieux.

Thaïs reporta son attention sur lui, ne sachant trop que répondre. Elle réalisa cependant qu'en effet, il était vieux. Oh bien sûr, pas vieux-vieux, il ne devait pas dépasser la trentaine ; mais la trentaine, c'était toujours une dizaine d'années de plus qu'elle. Et de pratiquement tous les autres, alentour.

— Tu reprends tes études ? questionna-t-elle.

— Ouais. Enfin, je vais essayer. C'est dur une fois qu'on est dans la vie active.

— J'imagine.

Non, elle n'imaginait pas, elle n'avait simplement rien d'autre à dire. Elle pensait de nouveau à sa lettre de motivation, à l'aménagement de son cocon. Et elle observait l'homme – elle eut une pensée pour sa mère qui prétendait qu'avant trente ans, les garçons n'étaient pas « finis » – en tirant sur sa cigarette. Quelque chose la chiffonnait. Le gars n'avait pourtant rien d'exceptionnel : il la dépassait d'une tête, mais comme sa tête à elle ne s'élevait pas bien haut au-dessus du sol, on ne pouvait le qualifier de géant ; il n'était ni beau ni laid, quoique ses lèvres trop épaisses au goût de Thaïs auraient plutôt eu tendance à faire pencher la balance du mauvais côté, tout comme sa peau grêlée – le pauvre, son acné avait dû le malmener sévèrement à l'adolescence.

Un nouveau changement de posture provoqua un déclic chez la jeune femme : il bougeait trop, voilà. Constamment ! Il n'avait eu de cesse de se trémousser sur sa chaise en classe et semblait monté sur ressort depuis la sortie du cours. À présent encore, bien que statique, il tirait sur sa clope avec une nervosité manifeste et secouait régulièrement la tête, comme assailli d'idées qu'il ne partageait pas…

Mais non. Non, c'était encore autre chose.

— Je m'appelle Sourou, au fait, ajouta-t-il comme pour réparer un oubli absurde. Et toi ?

— Thaïs.

— Cool. On se voit demain ?

— Tu ne viens pas aux cours suivants ?

— Non, je ne peux pas aujourd'hui.

C'était ça, comprit Thaïs. Ce truc qui la dérangeait : le mec tenait tout du touriste ! Il ne trimbalait ni sac, ni pochette, ni rien. Le cours terminé, il avait fourré son unique feuille A4 et son unique stylo dans une poche de son manteau et était reparti comme il était venu, les mains libres, comme s'il ne devait sa présence qu'au hasard d'une balade. Et maintenant il s'en allait, comme ça.

Sourou écrasa sa cigarette, salua Thaïs et papillonna hors de l'enceinte de l'université. Il venait de tourner le coin du bâtiment lorsque l'étudiante prit conscience d'un autre détail curieux. Quand l'avait-elle remarqué, elle n'aurait pu le dire, mais elle le savait, c'était sûr : sous son manteau de peau lainée, il ne portait qu'un débardeur. Son subconscient lui renvoyait maintenant l'image d'un carré de peau couleur café vêtu de coton blanc. Un débardeur, pas un T-shirt, elle en mettrait sa main à couper. Et c'était curieux, ça. Elle ne comprenait pas pourquoi, ne se l'expliquait pas, mais ce détail-là, c'était ça, précisément ça qui la turlupinait et la tarabiscoterait toute la matinée : il ne portait pas de pull.

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